D’où vient l’injonction à l’interdisciplinarité si souvent répétée dans le monde de la recherche ? Le livre collectif dirigé par Wolf Feuerhahn et Rafael Mandressi, Histoire de l’interdisciplinarité (Editions de la Sorbonne, 426 pages, 35 euros), offre des pistes pour en cerner l’histoire. Pour les auteurs, il ne s’agit pas de réinventer de fausses généalogies puisant vaguement dans les idéaux de coopération de l’Encyclopédie de Denis Diderot ou dans les entreprises de « synthèse » du début du XXe siècle. En partant des usages et des labels utilisés, l’enquête lexicométrique fait apparaître la notion entre les années 1920 et les années 1930. Elle met en évidence à la fois une diffusion des Etats-Unis vers l’Europe, mais aussi la position excentrée de ces programmes qui prospèrent en dehors des institutions les plus légitimes, au croisement de disciplines mineures.
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C’est par les fondations philanthropiques américaines que l’interdisciplinarité va devenir une véritable bannière contre la sclérose des découpages disciplinaires dès les années 1930. La fondation Rockefeller milite ainsi auprès de la Société des nations pour une internationalisation des sciences afin d’encourager la mise en place d’un gouvernement des scientifiques se consacrant à la gestion du monde contemporain sous l’angle épidémiologique ou économique. Financées à partir de 1940 par l’armée américaine, qui y voit une manière de quadriller le monde, les area studies, par exemple, vont regrouper différentes disciplines (linguistique, histoire, anthropologie, économie, etc.) sur une région particulière.
Trois décennies plus tard, le label représente indéniablement un marqueur de modernité institutionnelle. Dans le contexte de la guerre froide et des décolonisations, l’essor de l’interdisciplinarité est structuré par un mot d’ordre d’efficacité : les sciences doivent être mieux organisées. Une « interdisciplinarité administrée » par les institutions s’oppose à une « interdisciplinarité revendiquée » par les chercheurs. A partir de 1960, la pratique se généralise avec l’Organisation de coopération et de développement économiques ou la Délégation générale de la recherche scientifique et technique, pointant les faiblesses de l’université.
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