Un nouveau front vient d’être ouvert dans la bataille idéologique entamée aux Etats-Unis par le second mandat de Donald Trump. Après la culture, les politiques antidiscrimination ou le libre-échange, voici que la santé, et singulièrement la vaccination, est visée par des attaques teintées de complotisme, nourries par la méfiance envers les experts, l’Etat fédéral et les faits scientifiques. L’annonce par le plus haut responsable sanitaire de l’Etat (républicain) de Floride, mercredi 3 septembre, de la fin de l’obligation vaccinale pour les enfants scolarisés, qu’il a comparée à l’« esclavage », n’est que l’une des dernières manifestations en date du terrible vent antivax que fait souffler Robert F. Kennedy Jr, le ministre de la santé fédéral.
Vieux pourfendeur de la vaccination et fondateur d’un groupe militant pour la « liberté médicale » au nom de la « défense de la santé des enfants », M. Kennedy avait, en mai, retiré sans concertation le vaccin contre le Covid-19 du calendrier recommandé pour les enfants et les femmes enceintes en bonne santé, au grand dam des sociétés scientifiques.
Il a ensuite remplacé par des vaccinosceptiques les membres du comité consultatif sur les pratiques de vaccination, dont les avis commandent le remboursement des injections. Avant de limoger, le 27 août, la cheffe des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, Susan Monarez, nommée moins d’un mois auparavant, mais qui avait eu le tort de refuser d’approuver ses lubies antivaccins.
Exploitation des mensonges
Peu importe que M. Trump se soit targué, en décembre 2020, à la fin de son premier mandat, d’avoir réussi à développer en urgence des vaccins contre le Covid-19. L’heure est désormais à l’exploitation politique des mensonges qui remettent en cause le fait que la vaccination est « l’un des plus grands succès de la santé publique empêchant des dizaines de milliers de morts et des millions de cas de maladies », comme l’écrit l’Académie américaine de pédiatrie.
Même la totale incohérence de la position de M. Kennedy, manifeste au cours de son audition au Sénat, jeudi 4 septembre – il a estimé « géniale » la stratégie anti-Covid de M. Trump alors qu’elle repose sur une vaccination qu’il a par ailleurs qualifiée de « crime contre l’humanité » –, reste sans sanction politique. L’essentiel, en matière de vaccination comme ailleurs, est de manifester son allégeance au président.
Alors que plusieurs Etats gérés par les démocrates ont commencé à prendre le contrepied des orientations fédérales, la question vaccinale est en passe de s’imposer comme un nouveau marqueur politique et un facteur de division du pays, alors même que, selon un sondage, 81 % des parents américains sont favorables à l’obligation vaccinale.
Cette politisation de la science, qui tend à faire dépendre la reconnaissance d’une vérité établie par une démarche rationnelle d’un positionnement politique, constitue une dangereuse régression pour un pays où nombre des vaccins aujourd’hui visés ont précisément été mis au point. Elle agit comme un double poison. Pour la santé des Américains et bien au-delà, avec le risque d’érosion de la couverture vaccinale. Et pour la démocratie elle-même, dont un fondement – les débats argumentés fondés sur des réalités – risque d’être sapé si des mensonges propagés par les réseaux sociaux et relayés par les plus hauts responsables politiques ne finissent par imposer, loin des faits établis, des « vérités » alternatives.