- Le Parlement ukrainien a adopté cette semaine une loi réduisant l’autonomie de deux instances anticorruption.
- Une décision vue comme un recul en arrière par des milliers de manifestants qui ont défilé à Kiev mardi 22 et mercredi 23 juillet.
- Volodymyr Zelensky a finalement rétropédalé ce jeudi, en annonçant un nouveau projet de loi.
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Volodymyr Zelensky, l’ancien humoriste devenu chef de guerre
Depuis le début de la guerre en février 2022, jamais autant d’Ukrainiens n’étaient descendus dans la rue. Mardi 22 et mercredi 23 juillet, des manifestations d’ampleur, réunissant plusieurs milliers de personnes, ont été observées à Kiev et dans les capitales régionales, malgré la loi martiale interdisant les rassemblements. Les participants, jeunes pour la plupart, fustigeaient l’adoption d’une loi réduisant l’indépendance de deux instances anticorruption du pays.
Sentant la colère monter, Volodymyr Zelensky a finalement annoncé ce jeudi revenir en arrière. « Je viens d’approuver le texte d’un projet de loi qui garantit un véritable renforcement »
des services de justice et de sécurité et les protège de « toute influence ou ingérence russe »
tout en assurant « l’indépendance des agences anticorruption »
, a-t-il déclaré sur X. Néanmoins, le caractère inédit de la mobilisation née cette semaine pourrait marquer durablement la société ukrainienne.
Zelensky cherche à « renforcer son propre pouvoir » ?
La loi promulguée par le président ukrainien dans la précipitation prévoyait que le Bureau national anticorruption (Nabu) et le parquet spécialisé (SAP) soient placés sous l’autorité directe du procureur général. Or, ce poste est actuellement occupé par Ruslan Kravchenko, un proche de Zelensky. Pour les opposants à cette loi désormais très éphémère, ces deux organes allaient perdre leur indépendance. Interrogé par TF1info avant le revirement du président, Adrien Nonjon, chercheur spécialiste de l’Ukraine, rappelait que ces structures ont « enquêté sur différentes affaires avec parfois des succès assez retentissants qui ont pu parfois toucher les entourages des présidents »
.
Le Nabu et le SAP ont été créés après la révolution de Maïdan en 2014, sous l’impulsion de la société civile désireuse de vivre dans un pays exempt de toute corruption. Si Volodymyr Zelensky a dû reculer, c’est aussi car « les Ukrainiens sont très attachés à la transparence et au caractère démocratique de leur régime »
, insiste Adrien Nonjon. Remettre en cause le fonctionnement de ces deux instances était donc vu par la population comme une véritable atteinte à « l’héritage de 2014 »
.
Un sentiment renforcé par la précipitation avec laquelle la loi polémique a été votée puis promulguée. Volodymyr Zelensky avait justifié cet empressement par le besoin de lutter contre « l’influence russe »
, après l’arrestation de plusieurs employés du Nabu, soupçonnés de travailler à la solde de Moscou. « Certes la Russie exerce son influence dans l’appareil étatique mais il faut être prudent. À mon avis, il s’agit d’un faux prétexte de Zelensky, qui n’a aucune autre finalité que renforcer son propre pouvoir, voire protéger certains de ses plus proches collaborateurs »
, envisageait alors Adrien Nonjon.
Les Ukrainiens sont prêts à énormément de sacrifices mais la lutte contre la corruption fait partie des principes cardinaux sur lesquels ils ne voudront jamais lâcher
Les Ukrainiens sont prêts à énormément de sacrifices mais la lutte contre la corruption fait partie des principes cardinaux sur lesquels ils ne voudront jamais lâcher
Adrien Nonjon, spécialiste de l’Ukraine
Pour ce chercheur, ce tumulte dans la vie politique ukrainienne a tout de même mis en lumière la concentration croissante des pouvoirs au sein de l’exécutif ukrainien. Dernier indice en ce sens : la nomination au poste de Première ministre de Ioulia Svyrydenko, dont le nom a été quasiment imposé par Andriy Yermak, le très influent chef de cabinet de Zelensky. « Il y a toujours eu une tentation à l’instauration d’un régime présidentialiste aux pouvoirs étendus. Les présidents ukrainiens successifs ont tous eu envie un jour d’avoir plus de pouvoir au détriment du juridique et du législatif »
, explique-t-il.
Pris au dépourvu par l’avalanche de critiques et les inquiétudes de l’UE, Volodymyr Zelensky semble avoir un temps pensé que sa stature charismatique de chef de guerre suffirait à convaincre ses concitoyens de l’importance de cette loi. Mais selon Adrien Nonjon, cette ambition était peine perdue dès le départ : « Les Ukrainiens sont prêts à énormément de sacrifices mais la lutte contre la corruption fait partie des principes cardinaux sur lesquels ils ne voudront jamais lâcher. C’est là que Zelensky a fait selon moi une grave erreur. Ça peut lui coûter extrêmement cher. »
La fracture née cette semaine entre le peuple ukrainien et ses dirigeants pourrait-elle profiter à la Russie ? « C’est du pain béni pour le Kremlin »
, craint le spécialiste. « Pour Vladimir Poutine, il est toujours question de renverser Volodymyr Zelensky d’une manière ou d’une autre. Vu comme illégalement élu, il est devenu l’homme à abattre. Donc si sa population commence à se soulever contre lui, ça donne au Kremlin une nouvelle justification à son discours. La Russie rebondira sur ces manifestations d’une manière ou l’autre »
, bien qu’elles pourraient s’arrêter ce jeudi avec le virage à 180 degrés du président.
Le nouveau projet de loi qui « garantit l’indépendance du Nabu et du SAP »
sera « soumis aujourd’hui
(ce jeudi, ndlr) au Parlement ukrainien »
, a-t-il promis, sans pour autant dévoiler le contenu exact du nouveau texte. « Il est important que nous restions unis »
, « que nous respections la position de tous les Ukrainiens et que nous soyons reconnaissants envers tous ceux qui soutiennent l’Ukraine »
, a encore déclaré Volodymyr Zelensky.