ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Chez les compositeurs sériels et postsériels, les Italiens (et les Latins en général) ont presque toujours été les plus avenants musicalement : solaires, lyriques et aimant l’opéra. Cela ressemble à un cliché, mais ce fut le cas de trois musiciens nés au cours des années 1920 : Bruno Maderna (1920-1973), Luciano Berio (1925-2003) et Luigi Nono (1924-1990).
C’est à ce dernier qu’Arte consacre, grâce à sa branche allemande, qui produit d’excellentes réalisations sur la musique classique (tandis que la branche française dort ou rate son coup), un documentaire à l’occasion du centenaire de la naissance de Nono. On s’en réjouit d’autant plus que les portraits de compositeurs contemporains ne sont pas légion sur la chaîne.
Solaire, poétique, incantatoire ou, au contraire, taiseuse − comme dans son quatuor à cordes Fragmente-Stille, an Diotima (1979-1980) −, la musique de Nono, exigeante et radicale, n’est pas du goût de la majorité des mélomanes. C’est le cas d’une grande partie de cette frange de la modernité musicale qui tendit sa toile, parfois sévèrement théorique, sur la musique de l’après-seconde guerre mondiale, à quelques poches de résistance près (le minimalisme, aux Etats-Unis en particulier).
Créations chahutées
Il est intéressant, à cet égard, de rappeler que Luigo Nono allait épouser la fille d’Arnold Schönberg (1874-1951), qui fut l’instigateur de la révolution dodécaphonique, puis sérielle − même si le compositeur autrichien était déjà mort depuis trois ans au moment de la rencontre de l’Italien et de Nuria Schönberg, lors de la création posthume et en version de concert, en 1954, à Hambourg (Allemagne), de son opéra Moïse et Aaron.
Nuria Schönberg-Nono, qui intervenait récemment dans le remarquable documentaire Arnold Schönberg. L’inlassable visionnaire (2024), d’Andreas Morell, également sur Arte, revient sur ses souvenirs de jeunesse, ainsi que sa fille Serena Nono, peintre et cinéaste. Des interprètes racontent la création parfois mouvementée de certaines œuvres, chahutées et insultées par des mouvements d’extrême droite (manquent ses proches, le chef d’orchestre Claudio Abbado et le pianiste Maurizio Pollini, tous deux disparus).
Car Luigi Nono était, comme beaucoup de ses camarades artistes italiens de l’époque, engagé très à gauche et mettait volontiers en musique les écrits révolutionnaires, de Louise Michel à Karl Marx, de Lénine à Gramsci, de Che Guevara à Fidel Castro, ainsi qu’il le fait dans l’action scénique en deux actes Al gran sole carico d’amore (« Au grand soleil d’amour chargé »), écrite entre 1972 et 1974.
Parfois hérissée et stridente, comme dans Intolleranza (1961), la musique de Nono savait aussi se faire l’écho sonore de Venise, la ville où il était installé et où l’avaient tant marqué les concerts de cloches et l’architecture de la basilique San Marco, où se développa le style polychoral dont Nono est, en quelque sorte, un héritier tardif.
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Ce dont témoigne l’impressionnant Prometeo (1984), donné à Paris, au Festival d’Automne, en 1987 et en 2015, par l’entremise d’une musique aux effectifs dispersés dans l’espace, transformés par l’électronique en temps réel. « Tragédie de l’écoute », indique le sous-titre de l’œuvre ; chef-d’œuvre en tout cas que ce rêve sonore éveillé, exigeant et transformateur.
Luigi Nono. Le son de l’utopie, documentaire de Thomas von Steinaecker (All., 2024, 52 min) Sur Arte.tv jusqu’au 14 décembre.