Assis à l’ombre d’un arbre, Eugenio Pazos se remémore l’époque où de vastes prairies verdoyantes entouraient sa « chacra » (« petite ferme ») à Los Cuadrados, un village du nord de l’Uruguay. « La vie ici était si différente », soupire le septuagénaire, nostalgique des moments de détente partagés avec ses voisins, des éleveurs de bétail comme lui, dont les champs ont été remplacés par une forêt d’arbres aux feuillages bleutés.
En Uruguay, de nombreux pâturages naturels ont cédé la place à des plantations d’eucalyptus et de pins, qui couvrent aujourd’hui 7 % du territoire. En 1987, une loi visant à encourager l’industrie forestière par le biais d’allégements fiscaux a facilité l’arrivée de multinationales papetières. À la recherche de terres pour leurs plantations, elles ont proposé des sommes alléchantes aux petits agriculteurs pour l’achat ou la location de leurs champs.
En conséquence, de nombreux « gauchos », ces cowboys légendaires d’Amérique du Sud, ont abandonné la vie paysanne. Selon les données de la Banque mondiale, la population rurale en Uruguay a chuté de 431 425 personnes (15 % de la population totale) en 1980 à 144 763 (4 % de la population totale) personnes en 2023. « Je suis le seul à rester, » déplore Eugenio Pazos, désormais l’un des derniers éleveurs à résister dans son village.
De nombreux cours d’eau asséchés
D’après ce grand-père, la vie rurale devient de plus en plus difficile. Outre la solitude, il accuse les eucalyptus d’« assécher » sa terre, où broutent ses troupeaux de vaches et de moutons. Un constat récurrent dans le pays : cette espèce d’arbre consomme « énormément d’eau » et « détériore irréversiblement la fertilité des sols », confirme Daniel Panario, directeur de l’Institut de l’écologie et des sciences environnementales à l’Université de la République d’Uruguay à Montevideo.
Si l’Uruguay, doté d’importantes réserves d’eau douce, ne s’est longtemps pas préoccupé de l’épuisement de cette ressource, une forte sécheresse entre octobre 2022 et février 2023 a suscité de vives inquiétudes. Le déficit de précipitations, provoqué par la persistance trois ans de suite du phénomène climatique La Niña et exacerbé par le dérèglement climatique, a asséché de nombreux cours d’eau, obligeant même les autorités à utiliser celle, légèrement salée, de l’estuaire du rio de la Plata pour alimenter la population de Montevideo.
Chez Eugenio Pazos, le puits de 12 mètres et le ruisseau où s’abreuvent ses animaux se sont retrouvés à sec. Pendant quatre mois, il a dû faire des allers-retours de vingt minutes à cheval jusqu’à un ruisseau éloigné, épargné par la sécheresse, et acheter du foin pour ses animaux. « Il n’y avait plus d’herbe pour les bêtes », se souvient-il.
Il vous reste 67% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.