Le 11 avril, allée des Héros, en bordure du grand cimetière de Kryvy Rih, vaste cité industrielle et bassin minier du sud de l’Ukraine, près de mille drapeaux ukrainiens surplombent autant de tombes d’hommes et de femmes tombés pour le pays depuis l’attaque russe, en février 2022. Ils claquent au gré d’un vent froid et sous un ciel menaçant, alors qu’une petite centaine de personnes se serrent autour du cercueil de Margarita Polovinko, 31 ans, figure de l’avant-garde artistique ukrainienne, tuée, le 5 avril, par un drone. La ville natale du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est de nouveau endeuillée depuis la mort, le 4 avril, de vingt personnes, dont neuf enfants, après un tir de missile sur un parc de jeux entre deux barres d’immeubles.
Une clémence du ciel vient de faire cesser la pluie. Les proches de la jeune femme posent délicatement leur main sur son visage laissé découvert, comme le veut le rite orthodoxe ; d’autres s’agenouillent ; un soldat, le cheveu ras et le regard perdu, ne lâche pas les bords du cercueil de la cérémonie, comme si Margarita Polovinko l’aidait à ne pas tomber. Mais le drapeau ukrainien et le monceau de fleurs posés sur elle, les incantations du prêtre, l’émotion des artistes et militaires réunis et le son mat de la salve tirée en son honneur rappellent que le pays vient de perdre une personnalité rare.
La veille, dans la cuisine de la maison en brique rouge où elle a grandi, sa mère, Larissa Polovinko, une petite femme aux yeux noirs qui vous fixent sans vous voir, se souvient « d’une enfant aussi obéissante que rebelle qui a aimé le dessin dès son plus jeune âge et qui ne tenait pas en place ». Le 5 avril, c’est un appel du centre de recrutement de Kryvy Rih qui lui a appris sa mort. « J’ai essayé de la convaincre de ne pas s’engager, elle m’a répondu : “Qui va te protéger si je ne le fais pas ?” On ne pouvait pas l’arrêter, elle vous mettait devant le fait accompli. »
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