NETFLIX – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Comme Oprah (Winfrey), aux Etats-Unis et dans beaucoup de pays anglophones, Martha Stewart est (re)connue par son simple prénom. Elle fait l’objet d’un portrait documentaire signé R. J. Cutler, réalisateur de films politiques − dont The War Room (1993), sur la campagne de Bill Clinton en 1992 − et du piquant The September Issue (2009), tourné dans les locaux du magazine Vogue.
Peu connue en dehors de l’anglophonie, Martha Stewart est une vedette de la presse écrite, de la télévision et de l’édition américaines : elle vient de signer son centième ouvrage consacré à l’art de vivre et, en particulier, à la cuisine. Car Martha est un monstre bicéphale, mi-Mme Parfaite mi-Mme Je-Sais-Tout, aux bras multiples : jardiner, bricoler, dresser une table, recevoir des amis, faire de la tapisserie et de la pâtisserie, nettoyer de fond en comble, etc.
Une déesse du logis, en quelque sorte, un qualificatif que Martha Stewart a finalement embrassé avec autant de grâce que sa consœur britannique Nigella Lawson, dont c’était le titre du deuxième de ses livres de cuisine, How to Be a Domestic Goddess (Chatto and Windus, 2000, non traduit), qui avait fait frémir comme le lait sur le feu les féministes du XXIe siècle commençant.
Prison
Exemple type de réussite financière et professionnelle made in USA, Martha Stewart continue, à 83 ans, d’arborer avec satisfaction son titre de première femme d’affaires américaine milliardaire. D’abord mannequin, puis courtière de haut vol à Wall Street, elle est passée à l’organisation de buffets et de dîners, avant de lancer le magazine Martha Stewart Living. La télévision a ensuite largement renforcé une assise bien campée.
Comme tout modèle de réussite, Martha Stewart a connu un revers personnel : entraînée dans une affaire de délit d’initié, la papesse de l’art de vivre a fait la une des tabloïds et des journaux télévisés lors d’un interminable procès, en 2004, dont le jugement l’a envoyée en prison, accusée non pas d’un délit d’initié en soi, mais de parjure. L’affaire a même inspiré un personnage de la saison 3 (2015) de la série télévisée Orange is the New Black.
Mais cet épisode (largement développé par le documentaire) a favorisé un ressort personnel et professionnel qui a permis à Martha Stewart de décoiffer une image publique trop lisse et de rebondir après la chute en Bourse de ses sociétés : descendues au plus bas à l’annonce de ses déboires, ses actions ont quadruplé en valeur à sa sortie de prison.
Devenue, après la prison, la badass (« dure à cuire ») chic par excellence, Martha Stewart a copiné avec le rappeur fumeur de joints Snoop Dogg, participé à des émissions satiriques où elle s’est fichue de tout le monde et d’elle-même de manière carnassière et urticante. Cette belle femme a même posé, à 81 ans, en maillot de bain pour le magazine Sports Illustrated, repris ses émissions et ses publications avec le même charme bourgeois et un peu pète-sec qui a fait son succès.
Vacharde et caustique
Une série documentaire, The Many Lives of Martha Stewart, en quatre épisodes de quarante-deux minutes, avait été diffusée début 2024 par la chaîne d’information CNN (puis par Max, mais pas en France). Le portrait de cette fausse femme au foyer y était plus creusé et plus incisif que dans le film de R. J. Cutler, qui demeure, pour l’essentiel, aimable à son endroit.
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On y entendait d’anciennes employées décrire Martha Stewart en patronne parfois abusive, et des collègues de barreaux affirmer que, contrairement aux dires de leur célèbre camarade détenue, elles n’avaient plus jamais eu de nouvelles de leur coturne après son départ, en jet privé, le 4 mars 2005, de la prison d’Alderson, en Virginie-Occidentale.
Martha Stewart a donné son consentement au film, mais mégoté son contentement : elle serait filmée de son mauvais profil, claudiquant (après une opération du pied) comme une « triste petite vieille » dans son jardin, les auteurs n’auraient pas assez utilisé les archives mises à disposition, auraient trop consacré de temps à la case prison, etc. Une litanie de griefs dont Brooks Barnes, dans le New York Times du 30 octobre, a fait la matière d’un article.
Martha Stewart reste la Martha de toujours, à la fois impériale, circonspecte, grande gueule, lucide, spirituelle, vacharde et caustique. Et, comme le soulèvent beaucoup d’observateurs, plutôt mal à l’aise, comme chaque fois qu’elle se trouve dans une situation qu’elle ne peut contrôler.
Martha Stewart, une icône américaine, documentaire de R. J. Cutler (EU, 2024, 113 minutes).