Difficile d’évoquer un type à la biographie sans histoire, un type grand et sec, courtois et arrogant, un brin misogyne, qui aimait le foot et le poker, portait un chandail informe et des sandales affligeantes, maniait l’humour grinçant, vous regardait avec un sourire étale comme si vous étiez un abruti. Ses photos aussi sont banales, et pour cela elles sont extraordinaires. Elles ont révolutionné le genre documentaire. Parlons alors de ce grand artiste, l’Anglais Martin Parr, mort samedi 6 décembre chez lui, à Bristol (Royaume-Uni), des suites d’un cancer, un myélome. Il avait 73 ans.
Depuis l’invention de leur moyen d’expression au milieu du XIXe siècle, les photographes se sont intéressés aux extrêmes : riches et pauvres, puissants et opprimés, beaux quartiers et taudis. Le génie de Martin Parr est d’avoir regardé au milieu et fait de la classe moyenne – la sienne – son terrain de jeu. « Les gens normaux », disait-il avec provocation, d’une voix forte.
« La nature intrinsèque de la photographie est de décrire », ajoutait-il. Il l’aime réaliste et froide, pas vraiment apprêtée ou sentimentale. « Le monde, je le montre tel qu’il est, pas comme je le rêve. » Parr a méthodiquement décrypté la classe moyenne : vêtements, loisirs, décoration intérieure, voiture, tourisme, vie de couple, téléphone portable, rapport à l’argent, malbouffe, supermarché… Chaque thème donne un livre. Il en a publié plus de 120, minces et incisifs, par exemple The Cost of Living (1989), sur la société de consommation et le rapport de classes, Signs of the Times (1992), dans lequel des Anglais commentent leur logis, Small World (1995), sur le tourisme de masse, et Common Sense (1999), sur la mondialisation du goût – son travail le plus cru, exposé dans 41 galeries de la planète en même temps.
Il vous reste 85.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.











