« Le peuple doit accéder au pouvoir pour que la société soit véritablement libre et égalitaire. Dans une telle société, la propriété privée des moyens de production serait éliminée puisqu’elle permet à quelques-uns d’exproprier les fruits du travail exécuté par le grand nombre, engendre des divisions de classe au sein de la société et permet qu’une classe soit exploitée par une autre ». Ces mots (Liberation Praxis and Christian Faith, 1983) ne sont pas ceux d’un militant communiste ou d’un penseur marxiste, mais ceux d’un prêtre catholique, le Péruvien Gustavo Gutiérrez Merino, mort le 22 octobre à l’âge de 96 ans.
Ce natif de Lima, passé par les universités catholiques de Louvain et de Lyon, est l’un des pères fondateurs de la théologie de la libération, aux côtés d’autres penseurs sud-américains tels le catholique Leonardo Boff (85 ans) ou le presbytérien Rubem Alves (1933-2014), tous deux brésiliens. Ce courant, mûri dans le sillage du concile Vatican II (1962-1965) – auquel Gutiérrez a participé –, prend son essor à partir de 1968, date de la deuxième conférence du Conseil épiscopal latino-américain (Celam), à Medellin (Colombie), lors de laquelle le prêtre péruvien s’impose comme l’un des théologiens les plus influents.
Dans un document devant beaucoup à Gutiérrez, les évêques locaux y dénoncent la « violence institutionnalisée » des régimes dictatoriaux du continent et affichent leur soutien à l’un des concepts-clés des théologiens de la libération, l’« option préférentielle pour les pauvres », soit l’inscription des opprimés et des plus démunis au cœur du message de l’Eglise.
Une pensée de l’action
Critique de la doctrine sociale traditionnelle de l’Eglise, jugée trop timorée, la théologie de la libération est une pensée de l’action, voire, lorsque la situation l’y oblige, de l’insurrection : l’opprimé doit prendre son destin en main et ne plus attendre la charité des puissants ou la libération dans l’au-delà. Le royaume de Dieu doit se réaliser dans l’histoire humaine, sur terre et non au Ciel.
Dans son ouvrage fondateur paru en 1971 (Teología de la liberación), Gutiérrez défend ainsi « la construction de l’homme par lui-même dans la lutte politique ». « Bâtir une société juste passe aujourd’hui nécessairement par la participation consciente et active à la lutte de classes qui se déroule sous nos yeux », renchérit-il, attaquant ceux qui, notamment au sein de l’Eglise, se contentent de « faire des appels lyriques en faveur de l’harmonie sociale ».
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