Dans le sillage de l’affaire de Bétharram, un deuxième ancien élève de l’école catholique de Notre-Dame-de-Garaison, située dans le village de Monléon-Magnoac (Hautes-Pyrénées), a porté plainte pour viols contre son agresseur présumé, lundi 17 mars, a appris l’Agence France-Presse (AFP) auprès de son avocat et du parquet. Cet homme de 45 ans, scolarisé entre 1992 et 1994 au collège de Garaison, a porté plainte pour violences aggravées, agressions sexuelles aggravées et viols contre un surveillant de l’internat, a précisé Me Joseph Mésa.
Le 5 mars, une première plainte avait été déposée par un autre ancien élève de Garaison. Ce dernier avait déposé plainte contre X pour viol et agressions sexuelles, alors qu’il était à l’internat au début des années 1990. Ce premier plaignant, âgé de 44 ans, a déposé une nouvelle plainte lundi pour complicité de délits et de crimes par dissimulation contre l’institution Notre-Dame-de-Garaison, a fait savoir Me Mésa, qui est également son avocat.
Les deux nouvelles plaintes ont été déposées devant le procureur de la République de Tarbes, a confirmé celui-ci à l’AFP, précisant que les faits étaient a priori prescrits mais que les plaintes seraient jointes à l’enquête en cours. Libérées par la médiatisation du combat des victimes présumées de Notre-Dame de Bétharram, situé à 80 kilomètres dans le département voisin, celles de Garaison se structurent actuellement sur Facebook et WhatsApp en un collectif. Il compte déjà une cinquantaine de membres, selon son initiateur, Philippe (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille).
« L’enfer » décrit par des anciens élèves
Ces anciens élèves de l’école catholique décrivent un quotidien de violences généralisées, des années 1970 à nos jours, dont ils disent porter encore de graves séquelles. Dix témoignages recueillis par l’AFP font état de coups de fouet, de poing, ou encore de gifles tellement fortes qu’elles projettent à terre. Des violences qui, malgré les dénégations de l’actuelle direction, semblent se poursuivre, selon Léo et Pauline (prénoms modifiés), deux élèves scolarisés dans les années 2010 à Garaison.
Philippe dit avoir notamment reçu, entre 1985 et 1987, une claque si violente qu’elle lui a déchiré le tympan. Le certificat d’un ORL, consulté par l’AFP, atteste d’une « perforation tympanique linéaire » dans l’oreille gauche et d’une « légère perte » d’audition. Comme Notre-Dame de Bétharram, le collège Notre-Dame-de-Garaison a longtemps reçu des élèves jugés difficiles, pour les « remettre dans le droit chemin », raconte Jean-Claude (prénom modifié), professeur de 61 ans qui y est entré en classe de cinquième en 1975, pour trois ans. « C’était la punition ultime pour les enfants turbulents : “Si t’es pas sage, tu vas aller à Garaison.” », se remémore Grégory Leroy, menuisier poseur de 54 ans (scolarisé en sixième et cinquième entre 1983 et 1985).
Les pires sévices étaient infligés après le départ des professeurs et des demi-pensionnaires. Sur le chemin du réfectoire pour le repas du soir, « si on sortait des rangs, le surveillant général nous fouettait avec un lacet en cuir au bout duquel il y avait un sifflet en métal », raconte Jean-Claude. Plus tard, dans les dortoirs, « la lumière s’éteignait à 21 heures et commençait la pire partie de la journée », se souvient-il. Ces grandes salles contenaient une soixantaine de lits ainsi que celui d’un « pion » dans une « piaule » délimitée par des rideaux rouges. Au moindre chuchotement, le surveillant allumait la lumière. « On entendait les néons cliqueter, ce son terrible. Là, on savait que la séance de torture arrivait », décrit-il.
Une nuit, le surveillant « l’a frappé violemment à la mâchoire par en dessous, comme avec une raquette de tennis. Je suis parti à travers les rideaux m’écraser sur les lits à côté ». Et si personne ne se dénonçait, c’était la punition collective. « On vous plaçait devant votre lit, les mains dans le dos », se remémore Sébastien, fonctionnaire de police de 46 ans : « Chacun, un par un, prenait une gifle ». « C’était la vie à Garaison, dans cet enfer, c’était vraiment monstrueux », résume Jean-Claude.
« Dysfonctionnements d’un autre temps », selon la direction
Pris un jour en train de manger un biscuit au lit, Grégory s’est trouvé exclu du dortoir, avant que n’arrive le surveillant général : « Il a commencé à me frapper très violemment avec une cravache. J’ai voulu lui saisir les jambes pour le faire tomber, sans y arriver. Ça a décuplé sa colère, il m’a traîné jusqu’aux douches. Et sous la douche froide, comme je lui donnais des coups de pied pour me défendre, pour me calmer, il m’a saisi fortement les testicules en continuant à m’asséner des coups. »
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La libération de la parole n’a pu se faire que grâce à la déflagration de l’affaire de Bétharram, estiment-ils. « C’est salvateur », explique Grégory. Face à des faits pour la plupart prescrits, les anciens élèves veulent aujourd’hui avant tout « briser la loi du silence », explique Jean-Claude. Et « faire en sorte que tout un pan de la société, y compris l’Eglise, arrête d’associer la violence, la discipline extrême, les châtiments et les brutalités à des vertus éducatives ».
Face à l’émergence de témoignages dans les médias locaux, l’actuel directeur de Garaison, Joseph Corteggiani, a condamné fin février des « dysfonctionnements (…) d’un autre temps », auprès de La Dépêche du Midi. « Nous ne nions pas que, par le passé, à une époque où les punitions corporelles avaient cours dans les établissements scolaires (…), la volonté de faire respecter la discipline ait pu conduire certains encadrants à y avoir recours » , a déclaré à l’AFP un porte-parole de Garaison. « Autre temps, autres mœurs : depuis plus de vingt ans, ce type de punitions est totalement proscrit au sein de notre établissement », a-t-il ajouté.
Notre-Dame de Garaison, qui, selon son site Internet, accueille environ 700 élèves, de la maternelle à la terminale, compte parmi ses élèves les plus célèbres l’ancien premier ministre Jean Castex, le prix Nobel de la paix 1952, Albert Schweitzer, et l’ex-international de rugby français Pierre Berbizier.