- Nicolas Guillou a témoigné, vendredi, des difficultés auxquelles il est confronté dans sa vie quotidienne en raison de sanctions américaines.
- Le juge français est visé en raison de son implication dans le dossier du mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyhou.
- Il a appelé les magistrats à « tenir » face aux atteintes que ces sanctions font peser sur l’État de droit.
Un quotidien bouleversé à cause de représailles de la première puissance mondiale. Le juge français de la Cour pénale internationale (CPI), Nicolas Guillou, est visé, depuis le 21 août, par des sanctions américaines. La raison ? Il est impliqué dans le dossier du mandat d’arrêt visant le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Le Français n’est pas le seul à subir cette décision des États-Unis qui a également sanctionné le procureur de la CPI Karim Khan, quatre magistrates, une juge canadienne et deux procureurs adjoints.
Une situation qui rend le quotidien de Nicolas Guillou difficile. Alors, il a décidé de témoigner, vendredi 10 octobre, à l’occasion du congrès annuel de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) qui se tenait à Paris, pour raconter les difficultés auxquelles il est confronté dans sa vie quotidienne et appeler les magistrats à « tenir »
face aux atteintes que ces sanctions font peser sur l’État de droit.
Neuf magistrats au milieu de dictateurs et de terroristes
« Il y a aujourd’hui à peu près 15.000 personnes physiques et morales qui sont sous sanctions aux États-Unis mais aussi en Europe. Et ce sont principalement des membres d’Al-Qaïda, de Daech, de groupes mafieux,
des dirigeants de régimes dictatoriaux
. Et désormais, avec eux, neuf magistrats de la CPI »,
a-t-il déclaré en introduction.
« Ces sanctions, et c’est le cœur de leur mécanisme, elles interdisent à toute personne physique ou morale américaine, y compris leurs filiales à l’étranger, de fournir des services à une personne sous sanctions, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit »
, a-t-il expliqué, soulignant qu’en pratique, elles touchaient « l’ensemble de votre vie quotidienne ».
Ainsi, les comptes auprès d’« entreprises américaines sont fermés »,
comme « Airbnb, Amazon, Paypal »
notamment, et les colis distribués par une enseigne américaine bloqués. Mais des banques non américaines ferment aussi des comptes, « y compris dans la zone euro »
.
« Les paiements sont la plupart du temps supprimés »,
la quasi-totalité des cartes délivrées par les établissements bancaires en Europe étant « soit Visa, soit Mastercard, qui sont des entreprises américaines »
, a-t-il poursuivi. Ces sanctions peuvent par ailleurs s’appliquer aux proches des personnes visées. « Si vous avez une personne de votre famille, que ce soit conjoint ou enfant, qui a la nationalité américaine, ce qui est mon cas personnel »,
celles-ci « sont passibles de poursuites pénales et encourent 20 ans de prison aux États-Unis »
si elles « fournissent un service à une personne sous sanction »,
a indiqué Nicolas Guillou.
Un « déficit de souveraineté de l’Europe »
« En pratique, le pouvoir exécutif américain peut exclure n’importe quel citoyen européen du système bancaire et de l’espace numérique de son propre pays »,
a-t-il dit, estimant que cela était « révélateur du déficit de souveraineté de l’Europe »
. Or, selon le juge français, « les juges de la CPI ne seront probablement pas les seuls magistrats à être sanctionnés »
. Il a rappelé que le juge brésilien Alexandre de Moraes, chargé du procès de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, était lui aussi ciblé par des sanctions américaines.
« Il y a une infinité de contentieux pour lesquels des décisions que nous serions amenés à prendre seraient susceptibles de déplaire à un pouvoir en place »,
a-t-il observé avant d’appeler les magistrats, qu’il qualifie de « dernier rempart de l’État de droit », « tenir »
en « s’appuyant »
sur leurs « principes » : « indépendance », « impartialité », « collégialité », « rigueur juridique ».
« Dans un monde régi par la force, ce sont aux militaires de résister. Dans un monde régi par le droit, ce sont les magistrats qui sont en première ligne et c’est bien pour cela que nous sommes attaqués »,
a-t-il estimé, appelant à se « rapprocher »
des magistrats et des avocats « en Europe et dans le monde, car ils sont confrontés ou ils seront confrontés aux mêmes défis ».