ARTE.TV – À LA DEMANDE – SÉRIE DOCUMENTAIRE
Aussi palpitante qu’un roman policier, l’enquête en trois volets réalisée par Marc Roche et Jérôme Fritel raconte comment Vladimir Poutine a tenté de prendre l’Union européenne en otage, par le biais du gaz et du pétrole, persuadé que cette dépendance allait lui laisser le champ libre en Ukraine. Son plan semble avoir échoué. Les gazoducs Nord Stream 1 et 2 rouillent dans la mer Baltique et Gazprom, le bras armé du Kremlin à l’international, qui pesait jadis plusieurs centaines de milliards d’euros, n’est plus que l’ombre de lui-même.
Pourtant, malgré les sanctions occidentales, les revenus du gaz et du pétrole continuent à rapporter au budget russe « environ 1 demi-milliard de dollars par jour », rappelle un expert. Intarissable, cette manne permet au Kremlin d’alimenter indéfiniment sa machine de guerre. D’autant que les Etats de l’Union européenne continuent de l’enrichir en achetant son pétrole, préalablement raffiné en Inde et en Chine. Pareil pour le gaz liquéfié, dont la France est grande consommatrice.
Ironiquement, le méthanier russe géant qui continue d’alimenter l’Europe en GNL et d’enrichir les proches de Poutine s’appelle Christophe-de-Margerie, du nom de l’ancien PDG de Total mort dans un accident d’avion le 20 octobre 2014 à Moscou. Très investi dans les projets énergétiques du Grand Nord, au mieux avec le président Poutine, l’homme avait joué un rôle crucial dans l’exploitation des immenses gisements de gaz situés dans la péninsule de Yamal, au-delà du cercle polaire où une gigantesque usine de liquéfaction du gaz a vu le jour en 2017, largement grâce à Total, associé à Guennadi Timtchenko, le relais financier du Kremlin, élevé par la France au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 2013.
Depuis l’effondrement de l’URSS, en 1991, un pacte lie les présidents, Boris Eltsine (1991-1999) puis Vladimir Poutine (depuis 2000), avec les oligarques, ces barons de l’économie qui sont autorisés à faire main basse sur les richesses du pays en échange d’une soumission sans faille à l’égard de leurs maîtres. « Il y avait une poignée d’oligarques et 140 millions de pauvres qui avaient juste assez d’argent pour s’acheter du pain », résume l’ancien banquier Sergueï Pougatchev pour décrire l’époque du capitalisme de brigands caractéristique de la Russie postsoviétique.
« Une nouvelle classe de nobles »
Dès son arrivée au Kremlin en 2000, Vladimir Poutine va s’attacher à placer ses hommes, natifs de Saint-Pétersbourg, passés par les services de sécurité ou l’armée pour la plupart. Désormais, ces courtisans du tsar « forment une nouvelle classe de nobles, du moins c’est comme ça qu’ils se perçoivent », dit Andreï Soldatov, journaliste en exil depuis 2020. Le maître du Kremlin et son clan ont « la même mentalité, forgée à l’aune des services secrets et de la mafia ». N’ayant jamais pu digérer l’effondrement de l’URSS, ils partagent la même « soif de revanche ».
Implacable et tentaculaire, le système mis en place par Poutine repose sur deux piliers, les hydrocarbures et le petit groupe de ses fidèles à qui il a confié le contrôle des flux financiers. Dès les premières heures de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, il les a convoqués pour un petit coup de semonce. Assurant n’avoir rien à reprocher à « ceux qui aiment les huîtres et le foie gras », il les a sommés de se comporter en « patriotes », de rapatrier leurs avoirs, de participer à l’effort de guerre. Le ton était menaçant : « Tous ceux qui nous feront défaut seront punis. » Réunis dans la salle Sainte-Catherine du Kremlin, les nouveaux « boyards » ont fait corps avec le chef.
Le plus fidèle d’entre eux, Igor Setchine, est un ancien du renseignement militaire soviétique. Placé à la tête de Rosneft, la plus grosse entreprise pétrolière de Russie, il a été mandaté en 2022 pour acheter à prix cassé plus de 600 tankers d’occasion destinés à assurer la livraison du brut russe vers les raffineries indiennes et chinoises selon un circuit opaque – navires en fin de vie, cargaisons maquillées, sociétés-écrans dans des paradis fiscaux, tradeurs inconnus…
Depuis la guerre, le pétrole russe est vendu « par des compagnies dont personne n’a jamais entendu parler, basées le plus souvent aux Emirats arabes unis ou à Hongkong », souligne Vladimir Milov, un ancien vice-ministre de l’énergie qui vit aujourd’hui en exil. Selon lui, Setchine s’est parfaitement acquitté de sa tâche, étant parvenu, « grâce à ses réseaux clandestins », à créer un marché parallèle du pétrole susceptible de « redessiner l’économie mondiale ».
Oligarques, le gang de Poutine, série documentaire en trois volets réalisée par Jérôme Fritel et Marc Roche (Fr., 2024, 3 × 55 min). Diffusée sur Arte mardi 11 février à partir de 21 heures et disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 13 mars.