Dans le dossier de presse qui accompagne son spectacle, l’auteur et acteur Eric Feldman répond à une question d’Olivier Veillon. « Ça a l’air bien déprimant ? », lui demande son metteur en scène. « Non, j’espère pas (même si la déprime a du bon…) J’essaye d’être drôle (autant qu’on puisse l’être avec un tel sujet). » Le sujet ? C’est lui-même, autrement dit le descendant traumatisé d’une fratrie ayant réussi à échapper à l’extermination nazie. Son père, ses oncles et ses tantes ne sont pas là sur le plateau du théâtre. Ils sont pourtant plus que présents dans la petite salle du Rond-Point, à Paris, où les convoque l’interprète. Invisibles mais actifs, ils tapissent ses phrases, font trébucher ses mots, bousculent la linéarité de son propos. Le long récit introspectif dans lequel se lance Eric Feldman est perturbé par des salves de doutes qui en interrompent le cours, en remettant en cause chaque expression qui vient à ses lèvres.
Assis sur un fauteuil (dont il ne bougera presque pas, sauf à l’occasion d’une danse libératrice), l’acteur n’est donc pas seul. Il est visité par les souvenirs, colonisé par la mémoire, vampirisé par l’esprit de ceux dont il est l’héritier, marqué par le spectre de la Shoah. C’est au point que, alangui dans un lit avec une amante, une pensée s’engouffre sous ses draps : celle de Hitler qui aurait sans doute pu, raconte-t-il, être différent s’il était resté un enfant fou d’amour pour sa mère, ou s’il avait croisé Freud et entrepris une psychanalyse.
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