Nermine, 11 ans, « essaie d’être forte », mais ne peut réprimer un sanglot à l’idée de retourner à la rue. Avec sa famille, elle y a déjà vécu une semaine, lors de la canicule de l’été 2023, dormant à même le sol à la gare de Perrache, à Lyon, quand, à leur arrivée d’Algérie, les amis qui devaient les loger ont fait défection. Tous les cinq seront de nouveau sans abri, le jeudi 5 septembre : leur appartement, qu’ils pensaient louer à son propriétaire, s’est révélé être un logement social squatté, et leur expulsion est programmée.
La préadolescente confie son « stress » de se retrouver face aux policiers, ainsi que son inquiétude pour sa mère, qui souffre d’une maladie chronique, et pour ses petites sœurs, âgées de 7 et 3 ans. « On va aller où ? Il va pleuvoir, il va faire froid, comment va-t-on dormir, dehors ? », questionne-t-elle dans un français presque parfait, qu’elle ne parlait pas voilà un an. « J’aimerais que ma fille pense à ses études, pas à sa mère », dit tristement celle-ci, Zouleykha (comme d’autres personnes citées, elle a requis l’anonymat). Aucune solution d’hébergement, même provisoire, n’a pu être trouvée, malgré ses appels quotidiens au 115 et les efforts de l’assistante sociale qui les accompagne.
Plus de deux mille enfants − soit précisément 2 043, dont 467 âgés de moins de 3 ans − sont restés sans solution d’hébergement au soir du lundi 19 août, après que leur famille a réussi à joindre le 115, selon le baromètre « Enfants à la rue », publié par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et l’Unicef France, jeudi 29 août.
Ces deux organisations effectuent des décomptes depuis 2020. Jamais le nombre d’enfants à la rue n’avait été aussi élevé à la veille d’une rentrée scolaire. « La hausse atteint 120 % en quatre ans, s’alarme Nathalie Latour, directrice générale de la FAS. Et ces chiffres sont inférieurs à la réalité, puisque beaucoup n’appellent pas ou plus le 115, découragés par les temps d’attente et les réponses négatives. » Lors de la Nuit de la solidarité à Paris, du 25 au 26 janvier, 69 % des personnes sans abri rencontrées (isolées ou en famille) disaient ne pas avoir essayé de joindre ce numéro.
« Je lui dis que j’ai perdu les clés »
Lassana, 34 ans, qui a trois enfants de 8, 4 et 2 ans et dont l’épouse est enceinte, n’a pas renoncé. Cet habitant de longue date de Romainville (Seine-Saint-Denis) passe des heures, chaque jour, à tenter de contacter un 115 saturé. Et il reçoit, chaque soir par SMS, la même réponse négative. « On est hébergés à droite, à gauche. Nous, on est des adultes, ça va, même si ma femme est très fatiguée par la grossesse. Mais les enfants… La petite, surtout, on doit passer toutes les journées dehors. Elle n’arrive pas à faire la sieste. »
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