Faire de la Crimée un handicap plutôt qu’un atout. C’est l’objectif que l’armée ukrainienne semble poursuivre depuis plusieurs mois, conformément aux directives du président Volodymyr Zelensky, qui en a fait la priorité stratégique de l’année, malgré l’intensification de la pression russe sur les fronts de l’est et du nord.
Base arrière, plaque tournante, poste avancé… La péninsule annexée en 2014 au mépris du droit international reste une pièce essentielle du dispositif militaire russe en Ukraine et la plus précieuse prise de Moscou. Mais son relatif isolement géographique pourrait aussi en faire son talon d’Achille. Couper les étroites voies logistiques qui la relient à la Russie rendrait la situation intenable pour les effectifs qui y sont déployés, comme pour ceux qui tiennent le sud des oblasts de Kherson, de Zaporijia et de Donetsk. L’armée et les forces spéciales ukrainiennes s’y emploient donc depuis le début du conflit à grande échelle.
Le pont de Kertch, voie logistique alors de la plus haute importance stratégique et symbolique, a ainsi été endommagé à deux reprises, en octobre 2022 et juillet 2023. Le quartier général de la flotte russe de la mer Noire, à Sébastopol, a été bombardé le 22 septembre 2023, plus du tiers de ses navires ont été mis hors service, selon le décompte de la marine ukrainienne, et les autres ont dû se replier vers les ports moins exposés de Novorossiïsk et Feodossiïa. Mais tout s’est accéléré au printemps, avec l’arrivée des missiles américains ATACMS (Army Tactical Missile System) d’une portée de 300 km, deux fois supérieure à la version fournie jusqu’alors, qui ne laisse aucune région de Crimée invulnérable.
Depuis, les tirs y sont quasi-quotidiens, notamment en direction des batteries de défense aérienne russes S-300 et S-400, coûteux fleurons du complexe militaro-industriel russe. Selon le Centre de communication stratégique de l’armée ukrainienne, une quinzaine ont été touchés entre la mi-avril et la mi-juin en Crimée.
Comment expliquer cette apparente vulnérabilité ? « Les ATACMS, des missiles quasi-balistique tirés à l’aide de lance-roquettes multiples Himars ou M270, sont capables de s’écarter d’une trajectoire standard en arc par des virages rapides et des corrections de trajectoire. Ils peuvent prendre en défaut le S400, qui n’a pas été conçu à l’origine pour jouer un rôle antibalistique majeur », avance Federico Borsari, membre du Center for European Policy Analysis (CEPA) de Washington. L’impréparation ou l’inexpérience des opérateurs russes face à de telles armes peut également être un facteur aggravant, tout comme le fait de les tirer par salves et de les doter de charges à fragmentation, ce qui a effectivement été observé, poursuit-il.
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