
Les grandes maisons qui cherchent encore leur directeur artistique (Gucci, Jil Sander, Fendi…) devraient peut-être s’intéresser de plus près aux défilés des designers indépendants à la fashion week de Paris. Lors de cette saison automne-hiver 2025-2026, qui se poursuit jusqu’au 11 mars, plusieurs d’entre eux ont brillé par leur capacité à exprimer une proposition vestimentaire cohérente et singulière.
Depuis la création de sa marque, en 2017, le Français Ludovic de Saint Sernin peaufine une mode sexy, avec des robes seconde peau, voire sexuelle, avec des slips à lacets en cuir. Au début, un peu limitée par ce registre, elle finit par gagner en profondeur, comme l’ont montré son défilé de haute couture pour Jean Paul Gaultier en janvier et cette nouvelle collection, baptisée « L’Entretien », qui imagine des entretiens d’embauche après une nuit de fête.
Pour illustrer ce grand écart entre la piste de danse et la salle de réunion (sans repasser par la maison), il mélange des bustiers à œillets en cuir et des grands manteaux d’homme, associe des jupes crayon rayées à des soutiens-gorge bordés de cuir, couvre des corsets aux motifs reptiliens de manteaux de fourrure ceinturés. Certaines silhouettes ont été développées avec LVMH Métiers d’art, une initiative du groupe de luxe destinée à soutenir l’artisanat, qui a mis à disposition des tissus. Un signe de l’intérêt porté au designer par le milieu.

La marque Meryll Rogge fête ses cinq ans d’existence et commence à prendre de l’envergure. Après quelques défilés un peu bricolés, la créatrice belge propose enfin un show bien rodé, à la hauteur de sa proposition stylistique. Celle qui a longtemps travaillé pour Dries Van Noten partage avec lui le goût pour les associations osées de couleurs et de motifs, mais il y a aussi un peu de Martin Margiela dans sa manière de déconstruire le vestiaire et de s’inspirer du quotidien.
Cette fois-ci, sa collection s’appuie sur le travail de l’artiste Gordon Matta-Clark, qui s’emparait de bâtiments désaffectés comme de matière à sculpter, et, en particulier, son livre Walls Paper (Buffalo Press, 1973), compilant des photos de surfaces décrépies. Le résultat est un patchwork d’imprimés fleuris défraîchis ou de motifs à carreaux, qui s’intercalent sur des chemises ou des robes, dépassent de mailles colorées ou pailletées. Des manteaux ou des jupes matelassés donnent du volume, des volants apportent le mouvement. Meryll Rogge, ou l’art de faire du neuf avec du vieux.
Sac en cuir perforé
C’est aussi un artiste qui a fourni à Niccolo Pasqualetti le point de départ de sa collection : « Giacometti donnait vie à des silhouettes sombres grâce à son travail de la matière », explique le designer italien, qui voulait explorer « [s]a part obscure ». En dépit de ce programme pas très riant, la collection a beaucoup de charme et propose des pièces à la fois portables et élégantes.
Le cuir moelleux d’une robe toute noire est grignoté, des hanches aux chevilles, par des broderies brillantes comme du pétrole. Une jupe portefeuille en laine grise, dont les pans volontairement trop longs s’agitent dans les airs, contraste avec la densité d’un top en pierres translucides. Quelques jolies pièces très commerciales – un pull en tweed blanc pailleté à bords francs, une jupe en maille asymétrique, un sac en cuir perforé – émaillent cette collection. Indéniablement, Niccolo Pasqualetti sait faire de bons produits. Par les temps qui courent, dans le luxe, c’est une qualité aussi rare que recherchée.

Il y a des signes indiquant que la cote d’un designer est en train de monter. Tous étaient réunis au défilé de Duran Lantink, le Néerlandais qui a fait partie des lauréats du prix LVMH en septembre 2024 : cette saison, il bénéficie du soutien du bon bureau de presse pour assurer sa communication (Lucien Pagès), du bon concepteur de défilés (Bureau Betak) et du bon directeur de casting (DM). Et lui est à la hauteur de sa réputation, capable d’élaborer une collection spectaculaire, mais pas dénuée de quelques pièces faciles à porter.
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« J’ai voulu jouer avec tous les éléments considérés comme étant de mauvais goût, les imprimés zèbre, léopard ou vache, les carreaux, le camouflage… et trouver un moyen de les structurer », explique le designer, qui s’est livré à ses expérimentations formelles habituelles : certains vêtements gonflés et figés se confondent avec des sculptures, à l’instar de tee-shirts dont le col pyramidal engloutit le visage jusqu’aux yeux ; d’autres ne remplissent pas leur fonction première de couvrir le corps, comme ces jupes portées comme un tablier devant les jambes, laissant le fessier à l’air. L’ensemble est bien réalisé, plein d’humour et, de temps en temps, très efficace commercialement (un duffle-coat en cuir, une jupe portefeuille kaki). Autant de qualités qui n’ont sans doute pas échappé aux chasseurs de têtes présents parmi les invités.