S’il a passé une partie de son enfance en Italie, Pavel Durov, le PDG de Telegram arrêté samedi 24 août par la police française dans le cadre d’une enquête sur le manque de modération de sa plateforme, incarne la réussite des entrepreneurs de la tech de Saint-Pétersbourg, où il est né en 1984. C’est là, dans une ville qui abrite une importante communauté de startupeurs et de chercheurs, qu’il fonde avec son frère en 2006 VKontakte, un réseau social largement inspiré de Facebook, qui sera un gigantesque succès en Russie et dans le monde russophone.
Au-delà du succès économique, au début des années 2010 en Russie, Pavel Durov est surtout le Robin des bois du Web qui, dans un pays au régime autoritaire, ose placer la défense des libertés individuelles au-dessus de tout. Ainsi en 2013, toujours en compagnie de son frère Nikolaï, il lance la messagerie Telegram : il entend défendre le droit des individus à la vie privée et, déjouant l’appétit de contrôle des autorités, garantir la liberté d’échanger des messages sans être lu. Libertaire plus que rebelle, Telegram refuse pourtant en 2018 de transmettre aux services secrets russes les codes leur permettant de lire les messages des utilisateurs. L’État dépense alors des dizaines de millions de roubles en mesures techniques pour tenter de bloquer l’application, faisant tanguer l’Internet russe pendant plusieurs semaines : des centaines de sites ont en effet cessé de fonctionner, à cause des blocages d’adresses IP. Mais la messagerie tient bon.
En France, Telegram s’était déjà retrouvé sur les bancs des accusés après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Les terroristes auraient en effet communiqué sur la messagerie, en amont des attaques et en toute impunité. Après ces critiques françaises, comme celles en Russie, cible aussi d’attentats, et alors que M. Durov est accusé d’avoir su depuis longtemps que les djihadistes de Daech passaient par sa messagerie, celui-ci se défend sur le ton de la plaisanterie, proposant « d’interdire les mots ». Et dans les milieux du web russe, beaucoup partagent son ironie : « s’il y a meurtre au couteau, le couteau est-il le coupable ? »
Le « Mark Zuckerberg russe »
Longtemps surnommé le « Mark Zuckerberg du Web russe », il est le plus terrible des enfants de la bulle de liberté qui avait réussi à prendre son envol loin du Kremlin et de ses lois restrictives. Il entretient, à Moscou, une image de rebelle hors système, refusant d’associer son image à celle de la Russe, cultivant une vision et des projets globaux. Au point qu’en 2014, un bras de fer l’oppose aux autorités au sujet du sort de VKontakte, jugé trop indocile. Avec ses quelque 100 millions d’utilisateurs en Russie et dans les ex-républiques soviétiques, le réseau social joue notamment, aux yeux du Kremlin, un rôle crucial dans la révolution proeuropéenne à Kiev. Le FSB (l’un des héritiers du KGB) exige alors de Durov de pouvoir récupérer les données des meneurs l’ayant utilisé pour mobiliser les foules. « Niet », répond Pavel Durov.
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