Il était le dernier maillon à pouvoir stopper l’engrenage d’erreurs et de fautes qui ont inéluctablement conduit à l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018, ensevelissant huit Marseillais. Cet ultime garde-fou, Richard Carta, 66 ans, architecte ayant pignon sur rue et expert judiciaire loué par les magistrats, avait été désigné en toute urgence, le 18 octobre 2018, par le tribunal administratif pour une procédure de péril grave et imminent sur le 65 rue d’Aubagne.
Au terme d’une visite d’une heure, Richard Carta conclut à la réintégration des occupants de l’immeuble, à l’exception de celui du 1er étage côté cour. L’ordre d’une évacuation générale aurait sauvé huit vies. Une journée d’interrogatoire, lundi 2 décembre devant le tribunal correctionnel de Marseille, a montré que Richard Carta a, ce jour-là, expédié son travail. Diagnostic imparfait, rédaction ambiguë du rapport et manque de curiosité lui sont reprochés, en lien avec huit homicides involontaires. « Si on ne cherche pas, on ne trouve pas », le relance le président du tribunal, Pascal Gand, à deux reprises.
Le 19 octobre 2018, à 6 heures du matin – soit douze heures avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures que lui octroie le code de la construction pour dresser un constat et faire des préconisations – il monte dans un avion pour trois semaines de congés au Danemark. Lorsqu’il rentre, le 8 novembre, tous les corps n’ont pas été sortis des décombres, rue d’Aubagne. En partant en vacances, Richard Carta s’est privé d’informations qui auraient radicalement changé son analyse.
Ce 19 octobre – son rapport sera déposé par un associé à 15 heures -, il est déjà à Copenhague quand, sur sa messagerie, arrive, à 10 h 43, le mail d’une cadre de Marseille Habitat, la société municipale d’économie mixte propriétaire de l’immeuble mitoyen, le 63 rue d’Aubagne. « A toutes fins utiles, écrit-elle, une première expertise a été sollicitée par le propriétaire du 67, expertise qui a conclu à l’affaissement du numéro 65 qui tirait vers le bas les deux immeubles mitoyens (67 et 63). »
« Je n’ai pas ouvert ma boîte mail »
Les rapports d’expertises judiciaires figurent en pièce jointe. « Je n’ai pas ouvert ma boîte mail », répond-il au tribunal qui lui demande si « ce contexte plus problématique ne [lui] fait pas revoir sa copie ». Quelques heures plus tôt, interrogé par Céline Lendo, avocate des parents italiens d’une des huit victimes, sur son défaut de curiosité, Richard Carta s’était départi de son flegme : « Si j’avais su, si j’avais su… »
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