- En pleine guerre commerciale planétaire, le président américain s’en est pris à plusieurs pays, les menaçant de surtaxes pour des raisons en réalité politiques.
- Le ton est monté contre le Canada, qui veut reconnaître un État de Palestine, tandis que le Brésil sera soumis à de fortes hausses douanières, en soutien à l’ex-président poursuivi en justice.
- Plus que jamais, l’ancien homme d’affaires repousse les limites des négociations commerciales internationales et les fait basculer dans « une nouvelle ère ».
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La guerre commerciale de Donald Trump contre le reste du monde
La guerre commerciale faisait déjà rage, mettant à rude épreuve les nerfs des négociateurs, qu’il a encore jeté de l’huile sur le feu. Tandis que de nombreux pays tentent de nouer coûte que coûte un accord avec les États-Unis avant l’entrée en vigueur de surtaxes au 1ᵉʳ août, Donald Trump a lâché de nouveaux coups ces dernières heures. Il a menacé le Canada, le Brésil ou encore l’Inde, avec l’espoir d’obtenir une victoire pas seulement économique, mais aussi politique et diplomatique.
Ce jeudi 31 juillet, le locataire de la Maison Blanche a notamment averti son voisin canadien qu’un accord commercial s’annonçait « très difficile »
(nouvelle fenêtre), après qu’Ottawa a fait part de son intention de reconnaître l’État de Palestine en septembre, à certaines conditions. Une annonce vue depuis Washington comme un coup porté à son allié israélien, sur fond de tensions déjà latentes avec le Canada.
Donald Trump avait déjà brandi la menace d’une augmentation de 35% de droits de douane sur un large panel de produits canadiens dès vendredi, et semble visiblement bien en prendre le chemin. « Nous ne sommes plus dans le domaine des négociations commerciales traditionnelles, mais bien dans celui du chantage politique assumé »
, constate Maxime Chervaux, professeur à l’Institut français de géopolitique (IFP).
Une « diplomatie du deal poussée à son paroxysme »
Sur un autre dossier international brûlant, Donald Trump pourrait avoir utilisé le levier commercial comme une vraie arme diplomatique : la guerre en Ukraine. Dimanche, un accord a été noué avec l’Union européenne, qui s’est résignée à accepter 15% de droits de douane américains (nouvelle fenêtre). Lors des négociations, il n’a pas été question « seulement (…) de commerce »
, mais aussi « de sécurité »
et « de l’Ukraine »
, a glissé le négociateur en chef des Vingt-Sept, Maros Sefcovic, cité par Politico (nouvelle fenêtre).
Dans le même temps, le locataire de la Maison Blanche a durci le ton face au Kremlin, menacé de sanctions économiques s’il ne met pas fin à la guerre sous dix jours (nouvelle fenêtre). « On peut envisager que Donald Trump ait fait pression sur les Européens pour qu’ils acceptent son deal, en échange de son aide relative à l’Ukraine et de certaines formes de pression sur Vladimir Poutine, mais sans aucune certitude à ce stade »
, avance Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’Iris et auteur de L’Amérique éclatée
(Armand Colin).
L’ex-homme d’affaires s’en prend en tout cas déjà aux partenaires commerciaux de la Russie (nouvelle fenêtre) : il a annoncé mercredi 25% de droits de douane sur les produits indiens dès le 1ᵉʳ août, avec une « pénalité »
pour l’achat de pétrole et d’équipements militaires russes. Une soudaine fermeté désarçonnante, mais qui pourrait bien, pour le coup, être appréciée par les Européens et l’Ukraine. « C’est là toute l’ambiguïté et l’efficacité, à court terme, de la stratégie de Trump : elle peut nuire aux alliés traditionnels des États-Unis tout en servant ponctuellement leurs intérêts »
, analyse Maxime Chervaux.
Mais il est peu probable, au vu de la solidité des liens entre l’Inde et la Russie, que Washington parvienne à provoquer une vraie « rupture stratégique »
entre les deux pays, pointe-t-il. Et surtout, l’UE n’échappe en rien aux hausses douanières américaines. « Tout le monde est logé à la même enseigne »
, résume l’expert. Plus largement, tous ces comportements « illustrent parfaitement la
diplomatie du deal poussée à son paroxysme »
: « Trump transforme chaque relation internationale en négociation commerciale. Chaque divergence a son prix, chaque alignement sa récompense »
, souligne-t-il.
Le Brésil mis sous pression, une « première historique »
Un palier supplémentaire a même été franchi avec le Brésil. Proche allié de l’ex-président Jair Bolsonaro, qui risque 40 ans de prison (nouvelle fenêtre) pour une tentative présumée de coup d’État, Donald Trump a enclenché de nouvelles sanctions contre le juge de la Cour suprême brésilienne. Avant d’instaurer une surtaxe vertigineuse de 50% sur les produits brésiliens, à quelques exceptions près, qui sera appliquée dès le 6 août.
C’est la première fois qu’une grande démocratie se comporte ainsi à l’égard d’une autre
C’est la première fois qu’une grande démocratie se comporte ainsi à l’égard d’une autre
Romuald Sciora, spécialiste des États-Unis
Un exemple criant de « levier d’ingérence diplomatique »
, pointe Maxime Chervaux. « On pourrait résumer les choses ainsi : vous voulez envoyer mon copain en prison, je vais vous punir. C’est purement et simplement du racket, un acte mafieux, à l’échelle internationale »
, cingle même Romuald Sciora. Contrairement au bras de fer avec le Canada, Donald Trump ne peut pas ici justifier ce choix par des raisons idéologiques ou des intérêts géopolitiques. « On assiste à une première historique. C’est la première fois qu’une grande démocratie se comporte ainsi à l’égard d’une autre »
, martèle le spécialiste.
Pour lui, ces décisions s’inscrivent même dans une stratégie bien plus large de l’administration américaine. « Cette droite ultra-radicale poursuit l’objectif de faire des États-Unis un État semi-autoritaire à l’intérieur, et de mettre à bas à l’extérieur ce qu’il demeure du système multilatéral mis en place en 1945, pour revenir au bilatéral,
détaille le chercheur. Un ordre où la loi du plus fort prime, et où il n’y a aucun respect de l’éthique internationale. Nous sommes rentrés dans une nouvelle ère. »
Face à cette offensive sans précédent, le président brésilien a promis de résister et de « défendre (…) la souveraineté du peuple brésilien »
. Au-delà du Brésil, le Canada semble lui aussi tenir, maintenant pour l’heure, sa position sur la Palestine (nouvelle fenêtre). « Il y a là un calcul politique : céder au chantage de Trump créerait un précédent dangereux qui inviterait à de nouvelles pressions »
, remarque Maxime Chervaux. Même si certains pays, a contrario, reculent face aux pressions américaines, la stratégie du chef de la Maison-Blanche « isole les États-Unis »
à long terme, estime l’expert.
Un autre écueil peut venir cette fois de l’intérieur des États-Unis : les barrières douanières font craindre une hausse de l’inflation, déjà en progression sur l’année écoulée. Si les prix flambaient, « la machine trumpienne pourrait s’enrayer »
, note Romuald Sciora : « Il pourrait y avoir un retour de bâton, et Donald Trump pourrait y perdre des plumes lors des élections de mi-mandat l’année prochaine »
, anticipe le spécialiste. À la veille de sa date fatidique du 1ᵉʳ août, le président américain continue de défendre sa guerre commerciale, promettant des « États-Unis GRANDS et RICHES à nouveau »
.