C’est l’histoire d’un homme préhistorique baptisé Ötzi, dont le corps momifié a été découvert en 1991 dans les Alpes de l’Ötztal, à 3 210 mètres d’altitude, à la frontière entre l’Autriche et l’Italie. Enseveli sous une épaisse couche de glace, il a été mis au jour à la faveur d’une importante fonte du glacier cet été-là. Ce sont deux randonneurs allemands qui, croyant avoir affaire à un alpiniste victime du froid, ont alerté les autorités. La dépouille, rapidement surnommée « l’Homme des glaces », s’est finalement révélée être la plus ancienne momie glaciaire connue, datée d’environ 3 300 ans avant notre ère, soit il y a plus de 5 300 ans.
Un meurtre remontant au Chalcolithique, âge du cuivre
Ötzi représente l’un des plus anciens cas de meurtre connus à ce jour et le cadavre humain le plus minutieusement étudié de l’histoire scientifique des momies, notamment sur les plans génétique et médico-légal. Les analyses ont montré qu’il avait entre 40 et 50 ans à sa mort, mesurait environ 1,60 mètre pour 61 kg, et présentait des signes de dégénérescence articulaire (aux hanches, épaules, genoux et à la colonne vertébrale), d’athérosclérose, de troubles gastro-intestinaux, ainsi que des fractures anciennes aux côtes. On a également identifié trois petits calculs biliaires.
Le premier séquençage de son génome, réalisé en 2012, était de qualité médiocre et montrait une contamination par de l’ADN moderne (environ 7 %). Il avait alors révélé une forte proximité génétique entre Ötzi et les Sardes actuels, une conclusion reconsidérée dix ans plus tard.
En 2023, une équipe internationale a séquencé à nouveau son ADN, prélevé à partir du même échantillon osseux (os iliaque gauche), avec cette fois un faible niveau de contamination par de l’ADN moderne (environ 0,5 %). Cette étude, publiée dans la revue Cell Genomics, a montré qu’Ötzi possédait une ascendance majoritairement issue des premiers agriculteurs du Néolithique venus d’Anatolie, ainsi qu’une part plus ancienne provenant des chasseurs-cueilleurs européens. Contrairement à ce que l’on pensait, il n’est donc pas un « cousin » direct des Sardes modernes, mais partage avec eux une origine anatolienne commune.
Cette équipe dirigée par Albert Zink (Bolzano, Italie) et Johannes Krause (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire, Leipzig, Allemagne) a également identifié de nouveaux gènes chez Ötzi. Ces gènes sont liés à certains traits physiques (phénotypes) et à des prédispositions particulières : cheveux peu bouclés, couleur noire des cheveux, tendance à développer des troubles métaboliques liés à l’obésité, et à la calvitie.
Ces découvertes s’ajoutent à celles rapportées dans un article publié en 2012 dans Nature Communications par une équipe internationale également dirigée par Albert Zink (Bolzano). Ces chercheurs indiquaient alors que l’Homme des glaces avait probablement les yeux marron, la peau plus foncée que celle des Européens actuels, était du groupe sanguin O et était intolérant au lactose.
Par ailleurs, l’Homme des glaces présentait un risque accru de maladie coronarienne, ce qui pourrait expliquer les calcifications artérielles déjà observées. Enfin, la présence de séquences correspondant au génome de la bactérie Borrelia burgdorferi fait de lui le plus ancien cas connu d’infection par l’agent pathogène de la maladie de Lyme.
Aujourd’hui encore, la science continue d’éclairer les circonstances exactes de sa mort. Une profonde blessure à l’épaule gauche et une pointe de flèche logée entre la cage thoracique et l’omoplate sont au cœur des investigations récentes.
Si des radiographies et un premier scanner avaient été réalisés dès 1991, la pointe de flèche n’a été identifiée qu’en 2001. Cette observation a été publiée l’année suivante dans le Journal of Archaeological Science.
Ce n’est que deux ans plus tard, en 2003, que la cause et les circonstances de la mort d’Ötzi ont été publiées pour la première fois : le décès a alors été attribué à une hémorragie consécutive à une plaie perforante causée par une flèche, dans un contexte laissant planer le doute entre accident et homicide.
Il a fallu attendre encore quatre ans avant qu’une équipe italo-suisse identifie une lacération de 1,3 cm de long de l’artère sub-clavière gauche, alors considérée comme responsable d’un choc hémorragique mortel.
Publiée en juin 2025, une étude s’appuyant sur la comparaison des blessures d’Ötzi avec des cas cliniques remet en question cette interprétation, et suggère que l’Homme des glaces aurait pu survivre pendant plusieurs heures après sa blessure.
Des chercheurs danois et italiens ont réanalysé les images scannographiques d’Ötzi obtenues en 2013 pour examiner en détail la blessure à l’épaule. À l’aide de modèles 3D et de techniques d’animation médico-légale, ils ont pu reconstituer la trajectoire de la flèche, la nature des lésions, la posture probable d’Ötzi au moment de l’impact, et simuler les mouvements de son corps.
Publiés le 21 mai 2025 dans l’International Journal of Legal Medicine, ces travaux ont été menés par des chercheurs du département de médecine légale de l’université de Copenhague (Danemark), en association avec leurs collègues de l’Institut pour l’étude des momies de Bolzano (Italie).
Un corps déshydraté, rétréci et comprimé

L’objectif de cette nouvelle étude était de réanalyser les scanners réalisés en 2013 afin d’évaluer la blessure à l’épaule d’Ötzi selon une approche médico-légale. Pour cela, les chercheurs ont créé des modèles 3D centrés spécifiquement sur les structures de l’épaule et ont calculé le volume des tissus concernés. Grâce à des techniques d’animation virtuelle, ils ont également cherché à reconstituer la trajectoire de la flèche et la posture probable de l’homme des glaces au moment du tir.
Reconstructions 3D et animations virtuelles du corps

Pour mieux comprendre la blessure mortelle d’Ötzi, les chercheurs ont analysé les images médicales obtenues en 2013. À l’aide d’un logiciel spécialisé, ils ont reconstruit un modèle 3D détaillé de son corps. Ils ont procédé à une segmentation 3D, c’est-à-dire qu’ils ont extrait et isolé, à partir des images scannographiques, différentes structures (peau, os, vaisseaux sanguins, hématome, pointe de flèche) afin de les représenter séparément dans un modèle tridimensionnel. Cette étape est essentielle pour visualiser, mesurer et analyser précisément chaque élément du corps dans l’espace.
Chiara Villa et ses collègues de l’université de Copenhague, en collaboration avec l’Institut pour l’étude des momies de Bolzano, ont également estimé le volume de certaines parties du corps, comme le cerveau et l’hématome, pour évaluer l’ampleur des blessures. Comme le corps d’Ötzi présentait un aplatissement, les chercheurs ont utilisé le squelette d’une personne récemment décédée, de taille et de corpulence similaires, pour repositionner virtuellement les os dans une posture anatomique réaliste. Ce modèle réaligné a ensuite servi à simuler les mouvements du corps au moment de l’impact, ainsi que la trajectoire de la flèche, permettant de mieux cerner les circonstances exactes de sa mort.
Les nouvelles données concernent notamment l’étendue et le volume de l’hématome, mais aussi des mesures précises de la perforation osseuse et du trajet de la plaie. Une animation 3D a permis de reconstituer la posture possible d’Ötzi au moment du tir.
Autopsie virtuelle d’un meurtre préhistorique

Le corps d’Ötzi présente des signes de déshydratation, de rétrécissement et d’écrasement à l’avant comme à l’arrière. Les scanners montrent une plaie punctiforme d’environ 0,3 cm de diamètre à l’épaule gauche, située à 12 cm de la colonne vertébrale. Cette blessure, causée par une pointe de flèche encore logée entre les côtes et l’omoplate, a entraîné des lésions au niveau des muscles de l’épaule (deltoïde, infra-épineux, sous-scapulaire), une fracture de l’omoplate avec un trou de 3,8 × 1,7 cm, ainsi qu’une lacération de l’artère sub-clavière, qui vascularise le membre supérieur.
Les chercheurs ont identifié, sur les images scanner, deux trajets rectilignes à l’intérieur du corps : l’un allant de la lésion cutanée jusqu’à la pointe de la flèche, l’autre jusqu’à la section de l’artère sous-clavière. Ces deux trajectoires, proches mais légèrement décalées, suivent une orientation similaire : vers l’avant, la droite et légèrement vers le bas. Elles suggèrent que la flèche a causé plusieurs lésions internes sur son passage.
L’animation médico-légale a ainsi montré que cette trajectoire rectiligne explique à la fois la blessure de l’omoplate et la section de l’artère, apportant un nouvel éclairage sur le mécanisme de la blessure.
Il reste toutefois difficile de déterminer précisément la direction et la longueur de ces trajets à cause de la position actuelle du corps d’Ötzi : son bras est placé vers l’avant, ce qui modifie l’alignement naturel de l’omoplate. Dans cette posture, les lésions de la peau, de l’omoplate et de l’artère ne sont pas parfaitement alignées.
Un hématome, jusque-là non identifié

Le volume total de l’hématome dans la région de l’épaule a été estimé à 64 cm³, ce qui correspond, après ajustement, à environ 105 cm³ de sang. Cet ajustement tient compte d’une réduction estimée à 61 % du volume tissulaire liée à la déshydratation. Ce taux a été calculé à partir de modèles 3D montrant que le volume du cerveau n’était plus que de 626 cm³, contre environ 1574 cm³ pour la cavité crânienne. Cette correction est essentielle, car la momification a considérablement réduit le volume de l’ensemble des tissus d’Ötzi.
Les auteurs estiment que ce volume sanguin semble insuffisant pour expliquer à lui seul la mort par hémorragie. Selon eux, « un tel volume ne plaide pas en faveur d’un décès rapide par hémorragie interne massive. Toutefois, une perte sanguine externe ne peut être exclue ».
Nouveaux éléments sur la position d’Ötzi et celle de son agresseur

Pour mieux comprendre la trajectoire de la flèche, les chercheurs ont eu recours à des techniques d’animation permettant de repositionner virtuellement le bras d’Ötzi le long de son corps, rétablissant ainsi un alignement anatomique plus réaliste de l’épaule. Cette reconstitution a révélé que le trajet de la plaie, de la peau jusqu’à l’artère, suivait en réalité une trajectoire droite et orientée vers l’avant.
En animant ensuite l’ensemble du corps d’Ötzi en position debout, ils ont constaté que la trajectoire de la flèche correspondait à une posture où Ötzi faisait face à son agresseur au moment de l’impact. Des simulations avec différentes inclinaisons du corps ont également montré que la trajectoire de la flèche était dirigée vers le bas, suggérant que la personne ayant tiré se trouvait en hauteur par rapport à Ötzi au moment du tir. « Il demeure cependant impossible de savoir si Ötzi a vu son agresseur ou s’il était en train de fuir au moment où il a été touché. Nos résultats suggèrent néanmoins que son épaule et son bras se trouvaient dans une position relâchée, alignés le long du corps », précisent les auteurs.
En mobilisant les dernières avancées technologiques de la médecine légale, telles que la segmentation 3D et l’animation virtuelle du corps, ces nouvelles recherches apportent, 5 300 ans plus tard, un nouvel éclairage sur la nature et le mécanisme d’une blessure mortelle. Le mystère de ce « cold case », longtemps enfoui sous la neige, fond peu à peu.
Pour en savoir plus :
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Wang K, Prüfer K, Krause-Kyora B, et al. High-coverage genome of the Tyrolean Iceman reveals unusually high Anatolian farmer ancestry. Cell Genom. 2023 Aug 16 ;3(9) :100377. doi : 10.1016/j.xgen.2023.100377
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Pabst, M.A., Letofsky-Papst, I., Bock, E., et al. The tattoos of the Tyrolean Iceman : a light microscopical, ultrastructural and element analytical study. J Archaeol Sci. 2009 ;36(10) :2335–41. doi : 10.1016/j.jas.2009.06.016