La diversité des araignées ne cesse d’étonner jusqu’à leurs meilleurs spécialistes. Directeur de recherche (CNRS) au Centre de recherches sur la cognition animale de Toulouse, Raphaël Jeanson vient de leur consacrer un ouvrage captivant, Dans la tête d’une araignée (HumenSciences, 208 pages, 19 euros), qui présente l’étendue des talents de la petite bête à huit pattes. Il reconnaît pourtant avoir été « stupéfait en découvrant la sophistication de la technique de chasse » de l’espèce Theridiosoma gemmosum. Pour capturer sa proie, cette bestiole de quelques millimètres déploie puis tend sa toile à la façon d’un arc, et la projette tel un gladiateur. Dans un article publié jeudi 5 décembre dans la revue Journal of Experimental Biology, Sarah Han et Todd Blackledge, de l’université d’Akron, dans l’Ohio, viennent de révéler que l’animal déclenche l’opération en repérant à l’oreille la présence de sa proie, autrement dit avant même qu’elle ne touche sa toile. Mais, en vérité, c’est l’ensemble du processus, disséqué depuis dix ans par l’équipe de Saad Bhamla, à l’Institut technologique de Géorgie, qui apparaît proprement fabuleux.
Comme nombre d’autres araignées – mais pas toutes –, les espèces du genre Theridiosoma tissent des toiles circulaires : on parle alors d’orbitèles. Mais, là où la plupart de leurs cousines attendent passivement de voir leur proie s’empêtrer dans le piège, elles déploient leur génie. En l’occurrence, elles tissent un fil de soie supplémentaire, partant du centre de la toile et perpendiculaire à celle-ci, qu’elles accrochent à n’importe quel objet. Elles retournent alors sur la toile, la saisissent avec leurs quatre pattes arrière, et progressent le long du fameux fil au moyen de leurs quatre pattes avant. Ainsi la toile se trouve-t-elle soulevée en son milieu et, par là même, tendue. On imagine la suite : une fois la tension satisfaisante, notre hercule de poche attend l’arrivée de sa proie volante et lâche son fil au passage de cette dernière. La tension accumulée propulse la toile et l’araignée vers la cible, tel un lance-pierre. La soie collante emprisonne alors l’insecte. Le dîner est servi.
L’équipe de l’université Georgia Tech a analysé à la fois la force accumulée dans la toile et son déplacement, une fois relâchée. Les résultats, publiés dans Current Biology en 2020, sont impressionnants. Le maximum a été atteint par une espèce péruvienne, qui parvient à projeter sa toile à 4,2 mètres par seconde. L’animal lui-même subit alors l’accélération considérable de 130 g (pour mémoire, un pilote de chasse encaisse jusqu’à 9 g).
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