Une nouvelle séquence du débat sur les retraites a officiellement débuté, vendredi 17 janvier, mais tout reste à faire. Les partenaires sociaux et le nouveau gouvernement de François Bayrou se sont réunis plus de deux heures, vendredi 17 janvier, au ministère du travail pour lancer de nouvelles négociations sur la réforme de 2023. François Bayrou a fixé à « fin mai » l’objectif d’un accord entre les partenaires sociaux. Voici les principaux enjeux de ce dossier.
Que propose le premier ministre ?
L’abrogation de la réforme Borne, qui a porté l’âge légal à 64 ans, est une revendication du Nouveau Front populaire, qui en a fait l’une de ses grandes promesses lors des législatives de 2024. En forme de main tendue aux députés socialistes, dont il cherche à éviter la censure, François Bayrou a consenti à rouvrir ce dossier, que les macronistes considéraient comme soldé. Il a toutefois écarté l’idée d’abandonner ou de suspendre immédiatement la réforme, préférant relancer un cycle de concertation entre les partenaires sociaux. Une première rencontre s’est tenue, vendredi matin, au ministère du travail, pour « fixer le cadre et la méthode », avec l’objectif d’aboutir à un compromis « fin mai ».
Ces discussions doivent s’appuyer la mission « flash » confiée par le premier ministre à la Cour des comptes pour établir « des chiffres indiscutables » sur le financement du système de retraites. Ses conclusions doivent être rendues le 19 février. M. Bayrou souhaite ensuite réunir les partenaires sociaux sur une période de trois mois, leur fixant pour objectif d’améliorer la réforme, à condition de ne pas « dégrader l’équilibre financier » du système.
Le premier ministre dit être ouvert à une éventuelle baisse de l’âge du départ à la retraite, à condition qu’elle soit financée. S’il y a accord, celui-ci serait transmis au Parlement au plus tard lors de la discussion du prochain budget de la Sécurité sociale, à l’automne 2025. « Mais si les partenaires ne s’accordent pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer », a mis en garde le premier ministre.
Où en est l’application de la réforme Borne ?
La réforme des retraites portée par l’ancienne première ministre, Elisabeth Borne, a commencé à s’appliquer le 1er septembre 2023. Elle prévoit principalement :
- Un recul de l’âge légal de départ à la retraite de deux ans (de 62 à 64 ans), étalé sur quatre ans ;
- Un allongement plus rapide que prévu de la durée de cotisation nécessaire pour prétendre à une retraite à taux plein. La durée doit être portée de 42 à 43 annuités dès 2027 pour tous les salariés (hors régimes spéciaux), alors que la loi Touraine de 2013 prévoyait d’atteindre cette borne en 2035.
Les salariés en fin de carrière sont déjà concernés par la réforme Borne. L’âge légal du départ en retraite est ainsi déjà passé à 64,5 ans pour la génération née en 1962, et à 62 ans et 9 mois en 2025 pour celle née en 1963.
Pourquoi demander un rapport à la Cour des comptes ?
Devant les députés, le 14 janvier, François Bayrou a avancé un chiffre fort : 40 à 45 milliards d’euros seraient versés chaque année par l’Etat pour équilibrer le système des retraites, contribuant substantiellement au déficit public. Les retraites représenteraient même, selon lui, la moitié des « plus de 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire accumulés par notre pays les dix dernières années ».
Cette estimation provient d’une méthodologie détaillée dans une note du Haut-Commissariat au plan (que l’actuel premier ministre a présidé de sa création, en 2020, à sa nomination à Matignon). Elle met notamment en évidence les cotisations que les employeurs du secteur public versent au système de retraites, plus importantes que dans le privé (74 % de la rémunération contre 16,5 %), ainsi que les subventions d’équilibres versées par l’Etat aux comptes de certains régimes spéciaux. Pour François Bayrou, cette réalité équivaut à une sorte de déficit caché du système de retraites français.
Mais ce raisonnement ne fait pas l’unanimité. Le Conseil d’orientation des retraites, une instance indépendante censée faire référence sur la question du financement des retraites, juge, dans son rapport de juin 2024, que ce calcul n’est pas plus pertinent que les conventions classiques. Il observe surtout que les interventions d’Etat (tant sur les cotisations salariales des agents publics que pour équilibrer certains régimes) ne sont pas nécessairement le fruit d’une mauvaise gestion. Le besoin de financements des régimes spéciaux, par exemple, est en grande partie lié à leur extinction programmée.
En sollicitant la Cour des comptes, François Bayrou espère trancher cette controverse, et poser au passage un clair pour les futures discussions – qui doivent à ses yeux ne pas contribuer à accroître davantage la dette publique.
Sur quoi peuvent porter les discussions ?
La ligne rouge budgétaire fixée par François Bayrou contraint fortement les discussions à venir, puisqu’elle implique de financer toute concession sur la réforme de 2023. Plusieurs solutions existent sur le papier : augmenter les cotisations pour tout ou partie des salariés, trouver d’autres sources de financement au système de retraites, jouer sur le niveau des pensions…
Lors des débats sur la réforme Borne, les partis de gauche avaient proposé d’augmenter le niveau des cotisations afin d’équilibrer le déficit du système, sans avoir à toucher à l’âge de départ. Ils proposaient aussi une surcotisation sur les hauts salaires et l’arrêt de certaines exonérations de cotisations sociales « inefficaces ». A l’époque, le gouvernement macroniste avait fermement exclu cette option, arguant qu’elle « augmenterait le coût du travail » et pourrait faire grimper le chômage.
Le Monde
Soutenez une rédaction de 550 journalistes
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 7,99 €/mois pendant 1 an.
S’abonner
Les représentants des salariés et du patronat sont également divisés. Les centrales syndicales ont unanimement rappelé leur refus du report de l’âge à la retraite à 64 ans, estimant que d’autres sources de financements sont possibles. A l’inverse, les organisations patronales défendent la précédente réforme, et se disent hostiles à d’éventuelles hausses de cotisations. Dans tous les cas, le calendrier des discussions lui-même n’est pas neutre. La réforme de 2023 continuera de monter en charge au cours de l’année 2025, avant d’éventuels ajustements. Ce qui fait craindre à l’économiste Michaël Zemmour, proche du Nouveau Front populaire, qu’il n’y ait rapidement « plus grand-chose à négocier » – sauf à imaginer de revenir en arrière sur la réforme déjà en vigueur.