Un peu plus de cent jours après son entrée en fonction, il est facile de caractériser la tactique de Donald Trump : à la manière d’un joueur de cartes, il combine provocations et revirements brutaux, pour finir par conclure des deals. Il est plus difficile de discerner sa stratégie, tant elle est confuse, mais il apparaît de plus en plus clairement qu’il va demander à ses compatriotes d’endurer des sacrifices au nom des lendemains qui chantent. Quant à ses buts de guerre, ils demeurent nébuleux. Veut-il un dollar faible, pour réindustrialiser, ou un dollar fort, pour financer aisément les déficits de l’économie américaine, et faire en sorte qu’elle demeure financièrement dominante ? C’est une question centrale, et les réponses qui lui sont apportées demeurent, à ce stade, incohérentes.
Commençons par les faits. L’économie mondiale est aujourd’hui organisée autour d’un pôle manufacturier dominant, la Chine, et un pôle financier dominant, les Etats-Unis. Comme le rappelait l’économiste Richard Baldwin en 2024, la Chine représente aujourd’hui près du tiers de l’industrie mondiale (29 %, si l’on raisonne en valeur ajoutée), loin devant les Etats-Unis (16 %). Elle dispose du seul système industriel complet et domine les chaînes de valeur internationales.
Les Etats-Unis, quant à eux, sont archiprépondérants financièrement et monétairement. Le dollar compte pour à peu près 60 % du système financier mondial, selon les indicateurs retenus, contre environ 20 % pour l’euro et une fraction minuscule pour les autres monnaies. C’est sur la base de ces faits qu’il faut raisonner.
Perte de substance économique
Ce système a longtemps fonctionné, pour deux raisons : d’un côté, l’attractivité financière des Etats-Unis et le rôle de monnaie de réserve du dollar permettaient au pays de financer un déficit extérieur persistant ; de l’autre, l’écart de rendement entre actif et passif extérieur évitait que l’accumulation des déficits ne se traduise par une dégradation marquée de la position extérieure nette. Comme l’observaient les économistes Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey en 2005, l’économie américaine jouait ainsi, en s’endettant à taux faibles pour placer dans des actifs rémunérateurs, le rôle d’un fonds de capital-risque à l’échelle mondiale.
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