La série britannique Adolescence génère une littérature folle, en Europe ou ailleurs, dont les auteurs sont rarement des cinéphiles, plutôt des observateurs de la société : des sociologues, psychologues, anthropologues, criminologues, influenceurs, décodeurs de la jeunesse. Des responsables politiques aussi. Cet aréopage en parle comme il le ferait des taxes de Donald Trump ou du réchauffement climatique. Chacun plaque ses convictions sur des images sauvages, livrant sa vérité sur une série qui n’en délivre aucune.
Les quatre épisodes d’une heure chacun environ, disponibles depuis le 13 mars sur Netflix, racontent le destin de Jamie Miller, 13 ans, issu d’une famille modeste et aimante, accusé d’avoir tué une camarade de collège de sept coups de couteau.
Deux questions s’entremêlent : pourquoi a-t-il fait ça ? Pourquoi une série âpre, plus proche du reportage que de la fiction, déconseillée au moins de 12 ans, lancée sans fanfare par une plateforme peu habituée à ce registre narratif, dépasse largement les 100 millions de vues dans le monde, battant de multiples records ? « Le phénomène est inédit », confirme Laurence Herszberg, la directrice du festival Séries Mania, à Lille.
Le succès vient des parents, qui voient dans la série un miroir de leur impuissance face à leur ado indéchiffrable, et aussi d’experts faisant monter la mayonnaise autour d’une réponse univoque : Jamie est un « incel » (involuntary celibate), un célibataire involontaire, qui se sent humilié par les filles au point d’en tuer une. Le sujet a fait l’objet d’un débat monstre au Royaume-Uni, raconte notre consœur Cécile Ducourtieux dans « M Le magazine du Monde ».
De ce fait, la série a gagné en audience ce qu’elle a perdu en aura et en mystère. Elle a changé de statut, devenant une sorte de dossier visuel sur l’adolescence. La mise à distance que génère la fiction est gommée, ouvrant la voie aux jugements les plus décomplexés. L’ancien premier ministre conservateur Boris Johnson, expert en provocations, l’a qualifiée de « merde bien jouée » (Daily Mail du 5 avril) et des commentateurs d’extrême droite de « summum de la propagande anti-Blancs ». Elon Musk en personne a plongé allègrement dans cette fake news.
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