C’est l’histoire d’une maladie infectieuse dont la principale bactérie responsable, Corynebacterium diphtheriae, est aujourd’hui considérée comme un pathogène réémergent en France et en Europe de l’Ouest.
La diphtérie est une maladie infectieuse causée par plusieurs espèces de corynebactéries regroupées sous l’appellation de complexe diphthérique. Certaines souches de Corynebacterium diphtheriae se caractérisent par leur capacité à exprimer le gène de la toxine diphtérique (tox) et sont qualifiées de toxinogènes. La toxine est produite lorsque la bactérie se multiplie activement. D’autres souches, dépourvues du gène tox (ou ne l’exprimant pas), sont dites non toxinogènes.
La gravité de la diphtérie est liée à la présence de la toxine diphtérique, responsable de complications lorsqu’elle se diffuse à distance du site infectieux. C’est cette toxine qui est responsable des manifestations cliniques de la maladie et en particulier des complications cardiaques (myocardite) et neurologiques (paralysie des nerfs crâniens ou périphériques).
La diphtérie cutanée, nouvelle présentation clinique d’une maladie ancienne
Historiquement, la diphtérie se manifeste par une angine avec pseudomembranes sur les amygdales et le pharynx, la transmission se faisant principalement par les sécrétions respiratoires (gouttelettes). Elle peut entraîner une détresse respiratoire laryngée. Il s’agit là de la forme classique et la plus sévère de cette maladie qui ne représente que 10 % à 30 % des cas rapportés dans la littérature.
Les infections cutanées, désormais majoritaires, représenteraient entre 57 % et 86 % des cas. La diphtérie cutanée survient fréquemment sur des lésions déjà présentes, comme des plaies ou des piqûres d’insectes, qui évoluent en lésions pustuleuses avant de se transformer rapidement en ulcères douloureux, qui ne cicatrisent pas. Les ulcères cutanés superficiels sont recouverts par des membranes grisâtres adhérentes.
Une maladie de la précarité
De nombreux cas de diphtérie cutanée sont décrits chez des personnes en situation de précarité : migrants, patients dépendants à l’alcool, sans-abri.
La forme cutanée de la diphtérie, souvent méconnue et diagnostiquée tardivement, se transmet par contact direct avec une lésion cutanée ou via des objets souillés par des sécrétions cutanées. Ces deux formes cliniques, respiratoire et cutanée, ne sont pas exclusives l’une de l’autre.
La diphtérie doit son nom au médecin français Pierre Bretonneau qui a utilisé ce terme pour la première fois en 1821. Il fait référence à la texture cuirassée des pseudomembranes typiques de la maladie qui se forment dans la gorge du patient (du grec diphthera, cuir). La pseudomembrane est caractérisée par la formation dans la gorge d’une couche dense et grise composée de cellules épithéliales mortes, de fibrine, de globules rouges et blancs, et de bactéries. L’extension de ces fausses membranes peut entraîner l’obstruction du larynx et provoquer une asphyxie, ce qu’on appelle le croup.
La vaccination de masse contre la diphtérie a entraîné une baisse drastique de l’incidence de la maladie, notamment après la Seconde Guerre mondiale dans les pays développés. Aucun cas n’avait été recensé en France entre 1990 et 2002, illustrant l’efficacité du vaccin.
Trois cas récents de diphtérie cutanée en France
La diphtérie cutanée, maladie ancienne, connaît une réémergence depuis quelques années. En août 2024, Clémence Boucher et ses collègues dermatologues du CHU d’Amiens ont rapporté, dans le Journal of the American Academy of Dermatology Case Reports, trois cas de diphtérie cutanée, initialement pris pour des infections cutanées à staphylocoque, entraînant un retard diagnostique.
Le premier patient était un adolescent de 15 ans, réfugié afghan. Au cours de son trajet vers la France, il a développé des lésions pustuleuses ayant évolué en ulcérations croûteuses. Celles-ci, localisées au bas des jambes et sur les chevilles, évoluaient depuis un mois. Cet enfant ne présentait pas de pharyngite. Un traitement antibiotique pendant 8 jours avait entraîné une légère amélioration, suivie d’une aggravation à l’arrêt des antibiotiques. Le patient a été hospitalisé et un nouvel antibiotique lui a été prescrit. Toutefois, il a fugué au quatrième jour d’hospitalisation et les médecins n’ont donc pas pu le contacter pour qu’il puisse terminer son traitement.
Le deuxième patient, un adolescent de 17 ans également originaire d’Afghanistan, a consulté pour de petites ulcérations croûteuses sur les deux jambes, accompagnées de quelques pustules. Son état général était bon, sans fièvre, ni pharyngite. Avec l’aide d’un traducteur, il a indiqué être réfugié et avoir été en contact quelques jours auparavant avec le premier patient durant leur trajet vers la France. L’analyse bactériologique des prélèvements cutanés a confirmé la présence de Corynebacterium diphtheriae. Un traitement antibiotique, associé à une vaccination à distance, a permis la guérison complète des lésions. Une nouvelle culture bactérienne à partir d’échantillons cutanés de ces deux premiers patients a ensuite mis en évidence la présence de C. diphtheriae.
Le troisième patient est une femme de 36 ans, originaire de Madagascar et résidant en France depuis de nombreuses années, qui présentait depuis sept mois des lésions ulcérées douloureuses des orteils, aux deux pieds. Elle n’avait pas de pharyngite. Divers traitements antibiotiques, dont l’amoxicilline, avaient été prescrits par le médecin traitant, sans amélioration. L’interrogatoire a révélé que les lésions cutanées étaient apparues lors d’un voyage à Madagascar. Les prélèvements bactériologiques réalisés sur la peau des orteils ont identifié un staphylocoque, un streptocoque et une souche de C. diphtheriae non toxinogène, résistante à l’amoxicilline. Les prélèvements pharyngés ont également mis en évidence la présence de C. diphtheriae résistant à l’amoxicilline. Un traitement antibiotique par clindamycine a permis la guérison des lésions. Le schéma vaccinal de la patiente a été mis à jour dans un second temps. Par ailleurs, un rattrapage vaccinal contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche a été proposé à l’entourage.
Comme d’autres pays européens, la France connaît actuellement une augmentation du nombre de cas, en particulier sous forme cutanée. Entre janvier 2022 et le 2 février 2023, huit
pays de l’Union européenne ont rapporté 273 cas de diphtérie chez des migrants récemment arrivés, dont plus des deux tiers présentaient uniquement une forme cutanée.
La diphtérie cutanée peut être causée par des corynébactéries toxinogènes ou non toxinogènes, principalement Corynebacterium diphtheriae et Corynebacterium ulcerans.
Résurgence de la diphtérie en France
En France, alors que seuls 10 cas de diphtérie toxinogène avaient été rapportés entre 1989 et 2015, Santé publique France en a recensé 60 en 2022. Cette résurgence s’explique par l’intensification des déplacements, une baisse marquée de la couverture vaccinale mondiale et l’augmentation du nombre de réfugiés vivant dans des conditions de précarité et de promiscuité, notamment dans les centres d’accueil.
La plupart des infections étaient dues à C. diphtheriae, dont 35 cas signalés en France : 27 présentaient une forme cutanée, 5 une forme respiratoire, et 3 étaient asymptomatiques. Les patients étaient majoritairement de sexe masculin (32 cas), âgés de 11 à 59 ans (âge moyen de 23 ans) et les symptômes sont apparus dans les 15 jours suivant leur arrivée en France. Seuls 3 patients étaient à jour de leur vaccination contre la diphtérie. Le statut vaccinal des 25 autres patients n’était pas connu.
La majorité des cas concernait des migrants originaires d’Afghanistan (28 cas) ou des voyageurs (6 cas).
La période d’incubation de la diphtérie cutanée varie de 2 à 5 jours (avec une plage possible de 1 à 10 jours). Le diagnostic de la diphtérie cutanée peut s’avérer difficile pour les dermatologues, car les manifestations cutanées sont vagues et non spécifiques.
Le plus souvent consécutives à des traumatismes des membres, les lésions cutanées de la diphtérie se manifestent initialement par des pustules évoluant vers de petites ulcérations bien limitées, recouvertes d’une pseudomembrane, avec peu de signes généraux. Ces lésions sont fréquemment confondues avec un impétigo (infection cutanée due à un staphylocoque ou un streptocoque). Le diagnostic de diphtérie cutanée doit donc être suspecté en cas d’impétigo ne répondant pas aux antibiotiques usuels.
Les effets liés à la toxine sont rares dans la diphtérie cutanée, avec une incidence estimée entre 1 % et 2 %, en raison d’une libération plus lente de la toxine à travers la barrière cutanée.
Le traitement de la diphtérie cutanée ne nécessite pas l’administration d’antitoxine diphtérique. Il repose sur deux principes : une antibiothérapie pendant 10 jours et une mise à jour vaccinale, à distance de l’infection, chez les personnes non vaccinées. Aucune immunité n’est acquise après une telle infection. Une résistance à l’amoxicilline peut être observée, ce qui peut expliquer l’échec du traitement initial.
Les enfants de moins de 5 ans non vaccinés sont particulièrement vulnérables à l’infection diphtérique. Le taux de mortalité des personnes non vaccinées atteintes de diphtérie respiratoire non traitée est estimé à 29 %.
Publiée en 2024 dans la revue Emerging Microbes & Infections, une étude rétrospective multicentrique française a identifié 132 cas de diphtérie survenus chez des adultes en France métropolitaine entre 2018 et 2022. Dirigée par des dermatologues, microbiologistes, infectiologues et médecins internistes, cette étude décrit les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, microbiologiques et thérapeutiques de 63 cas (sur 132 cas initiaux) répondant aux critères d’inclusion.
Malgré l’exclusion de certaines populations (mineurs, sans-abri, migrants) et un effectif restreint, cette étude constitue à ce jour la plus vaste cohorte française décrivant la diphtérie cutanée. Les précédentes descriptions cliniques précises et détaillées de la diphtérie cutanée remontent à des études se rapportant à des épidémies survenues pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cette étude a également le mérite d’éclairer sur les pratiques des praticiens concernant la diphtérie cutanée.
L’âge moyen des patients était de 53 ans (compris entre 18 et 93 ans) et 68 % d’entre eux étaient des hommes. Plus de la moitié des patients (56 %) avaient séjourné durant l’année précédant le diagnostic de diphtérie dans un pays étranger où elle est endémique (dans 67 % cas en Afrique, dans 23 % cas en Asie).
Il est à souligner que, dans moins de la moitié des cas (44 %), ces patients étaient considérés vaccinés contre la maladie. Par ailleurs, le statut vaccinal n’était pas connu chez plus d’ ;un patient sur trois. Or on sait qu’un des principaux facteurs de risque d’épidémie de diphtérie est la faible couverture vaccinale.
En France, seulement 44 % des personnes de plus de 65 ans sont vaccinées conformément aux recommandations, alors que pour prévenir une épidémie majeure au sein d’une communauté le seuil d’immunité collective contre la diphtérie est estimé entre 80 % et 85 %. La vaccination protège non seulement contre les souches toxinogènes et donc contre la mortalité, mais elle réduit également le risque de transmission de 60 %. Une couverture vaccinale élevée (tant pour la primovaccination que pour les doses de rappel) reste donc l’intervention clé pour assurer une protection contre la diphtérie au niveau populationnel.
Les lésions cutanées touchaient les membres inférieurs dans 87 % des cas et correspondaient à des ulcérations dans 82 % des cas. Deux espèces ont été identifiées dans l’étude : C. diphtheriae (77 %) et C. ulcerans (23 %). Une souche sur trois (39 %) était toxinogène. Les analyses de prélèvements nasopharyngés ont montré que plus de 9 % des patients étaient aussi porteurs de la bactérie dans la gorge. Environ 15 % des patients étaient alcooliques.
Méconnaissance de la maladie
Il s’avère qu’avant les résultats des analyses microbiologiques, le diagnostic de diphtérie cutanée n’avait pas été évoqué par les cliniciens dans 82 % des cas. Les principales hypothèses avancées étaient l’impétigo, un ecthyma (forme ulcérée d’impétigo), ou encore une leishmaniose (maladie parasitaire).
« En France, de nos jours, l’enseignement en faculté de médecine aborde la diphtérie uniquement sous son aspect ORL (plus caractéristique et plus souvent associé au syndrome toxinique), alors que l’atteinte cutanée est rarement, voire jamais, évoquée », font remarquer Laure Chêne de l’Hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne de Toulon et ses collègues de l’Institut Pasteur, de l’hôpital Necker (Paris) et de l’université de Marseille. Pourtant, on assiste depuis ces deux dernières décennies à une réémergence des infections diphtériques dans la plupart des pays développés, y compris dans notre pays. De fait, en France, les formes cutanées sont désormais plus fréquentes que les formes respiratoires.
Même après l’identification du germe, la présence de Corynebacterium a été négligée par les médecins dans 17,5 % des cas. En effet, malgré les recommandations en vigueur, de nombreux cliniciens considéraient qu’un prélèvement positif pour une corynébactérie relevait d’une simple contamination et ne tenaient pas compte de ce résultat.
Cette méconnaissance semble liée à un déficit d’information et de sensibilisation des cliniciens vis-à-vis de cette maladie. « Bien que la virulence des souches toxinogènes et non toxinogènes soit aujourd’hui bien décrite, et malgré les recommandations existantes, de nombreux cliniciens ont considéré un prélèvement positif au complexe diphtérique comme une simple contamination, sans lui accorder d’importance. Plus d’un sur deux ne recherchait pas le portage nasopharyngé, et peu vérifiaient son éradication », précisent les auteurs.
« Le traçage des contacts, pourtant recommandé [pour limiter le risque épidémique], a été largement négligé : seuls 42 % des patients concernés ont fait l’objet d’une telle procédure. Deux hypothèses peuvent expliquer ces lacunes : une méconnaissance des recommandations françaises relatives à la prise en charge des infections cutanées diphtériques, ou une méconnaissance de la maladie elle-même, notamment dans sa forme cutanée. Pourtant, le risque de contagion est significatif et est considéré comme plus élevé dans les formes cutanées que dans les formes respiratoires », ajoutent les auteurs.
Ils insistent : « La présence de corynébactéries du complexe diphtérique sur une lésion cutanée ne doit jamais être considérée comme une simple colonisation ». Le diagnostic repose sur une collaboration étroite entre cliniciens et microbiologistes : les premiers doivent évoquer l’hypothèse de diphtérie cutanée et la signaler, les seconds doivent alerter sur la potentielle pathogénicité de ces bactéries et ne pas banaliser leur isolement comme une simple contamination du prélèvement.
Il est une autre raison pour laquelle cette maladie ne doit pas être sous-estimée. La diphtérie cutanée peut, bien que rarement, être fatale. Les données disponibles indiquent qu’une forme cutanée toxinogène est associée à une atteinte respiratoire dans 20 % à 40 % des cas, à des complications neurologiques, cardiaques ou pulmonaires dans 3 % à 5 % des cas, et jusqu’à 28 % chez les personnes de plus de 60 ans.
En cas de suspicion de diphtérie pharyngée, la prise en charge repose d’une part sur des précautions de type gouttelettes et contact (notamment dans un périmètre d’un mètre autour du patient), et d’autre part sur l’instauration immédiate d’un traitement antibiotique (érythromycine ou pénicilline encore souvent utilisée). En présence de signes de gravité, une injection intraveineuse d’antitoxine diphtérique est indiquée. Ce sérum d’origine équine neutralise la toxine avant qu’elle ne pénètre dans les cellules. Son administration doit donc être aussi précoce que possible en cas de suspicion d’effet toxinique.
Lorsque l’atteinte cutanée évoque une diphtérie, la prise en charge repose sur l’instauration d’un traitement antibiotique par voie orale, ainsi que sur la mise en place de mesures de protection de type contact. Pour les sujets contacts, la prise en charge comprend une antibiothérapie prophylactique, une vérification de l’immunité vaccinale, et, si nécessaire, une vaccination tenant compte du délai depuis le dernier rappel. Le vaccin contre la diphtérie est une anatoxine, c’est-à-dire une toxine de C. diphtheriae inactivée et donc rendue inoffensive. Le vaccin ne protège donc pas contre l’infection par C. diphtheriae elle-même, mais contre les effets de sa toxine qui peut provoquer de graves complications.
Importante épidémie en 2022 parmi les migrants
Pour conclure, signalons qu’une vaste étude internationale, publiée le 4 juin 2025 dans le New England Journal of Medicine (NEJM), a analysé les cas d’infection à C. diphtheriae toxinogène signalés entre janvier et novembre 2022 dans dix pays européens (Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, Suisse, France, Belgique, Norvège, Pays-Bas, Italie, Espagne).
Cette enquête a notamment impliqué des chercheurs du laboratoire Biodiversité et Épidémiologie des Bactéries Pathogènes de l’Institut Pasteur de Paris, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, Solna, Suède) et de l’Institut de Microbiologie Médicale de l’Université de Zurich (Suisse).
La plus importante épidémie de diphtérie en Europe occidentale depuis 70 ans
Cette étude a porté sur ce qui représente la plus forte augmentation de cas de diphtérie observée en Europe occidentale au cours des 70 dernières années. Cette épidémie a principalement touché des populations déplacées.
L’âge médian des patients était de 18 ans. Près de la moitié (48,6 %) étaient âgés de 16 à 20 ans et 98 % étaient des hommes. La plupart (96 %) avaient connu un parcours migratoire récent, avaient été en contact étroit avec des populations migrantes, ou venaient d’entrer dans le pays déclarant le cas. Enfin, 48 % d’entre eux résidaient dans un centre pour migrants.
Les données concernant les pays d’origine, les itinéraires de transit et la date d’arrivée dans le pays ont été recueillies lors d’entretiens avec les patients. Les isolats bactériens prélevés ont fait l’objet d’un séquençage complet du génome et d’un test de sensibilité aux antibiotiques. Parmi les 363 isolats de C. diphtheriae, tous étaient porteurs du gène tox, codant la toxine diphtérique.
77 % des patients présentaient une diphtérie cutanée
Des données cliniques étaient disponibles pour 346 patients : environ 77 % présentaient une forme cutanée, 15 % une forme respiratoire (dont 3,2 % avec des pseudomembranes), et 2,6 % présentaient à la fois des symptômes cutanés et respiratoires. Un patient présentait deux infections distinctes : cutanée et respiratoire. Un autre patient, présentant des sécrétions purulentes et des pseudomembranes recouvrant l’ensemble de la paroi pharyngée, est décédé.
Seuls quatre patients étaient déclarés vaccinés, dix ne l’étaient pas, et le statut vaccinal était inconnu pour les 290 autres.
Les informations concernant le pays d’origine étaient disponibles pour 266 patients. Au total, 222 d’entre eux (soit plus de 83 %) venaient d’Afghanistan ou de Syrie. On dénombre 28 pays de transit pour 11 pays d’origine différents.
Bien que certains patients aient migré depuis l’Afrique ou via l’Europe de l’Est, la majorité avait emprunté un itinéraire passant par les Balkans occidentaux, région qui regroupe la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et l’Albanie.
Quatre grands groupes génétiques
Quatre grands groupes génétiques différents de C. diphtheriae ont été répertoriés, ce qui montre la diversité des génomes bactériens à l’origine de cette épidémie. Nouvellement identifiés, ils sont distincts des isolats antérieurement séquencés.
Un sous-groupe d’isolats était porteur d’un gène conférant une résistance à l’érythromycine. D’autres souches présentaient une résistance à la pénicilline, mais restaient sensibles à l’amoxicilline.
« Le nombre élevé d’infections à Corynebacterium diphtheriae parmi les migrants est préoccupant, d’autant plus que certains profils de résistance aux antibiotiques compromettent l’efficacité des traitements de première intention », soulignent Andreas Hoefer (ECDC), Sylvain Brisse (Institut Pasteur) et leurs collègues.
Transmission persistante à bas bruit
Les variations génomiques observées au sein de ces quatre groupes génétiques indiquent que leurs ancêtres communs les plus récents auraient existé entre 2017 et 2020. Selon les auteurs de l’étude, « ce timing suggère qu’une transmission à bas niveau aurait pu passer inaperçue pendant un certain temps, et pourrait même avoir existé plus tôt dans les pays d’origine des migrants, favorisée peut-être par de faibles taux de vaccination et une infrastructure sanitaire limitée en matière de diagnostic et de surveillance de la diphtérie ». Il s’avère, en outre, que ces groupes génétiques n’ont connu une croissance exponentielle qu’à partir de 2022.
Des inconnues demeurent cependant, comme l’origine géographique de l’épidémie et les lieux de contamination. Selon les auteurs, la présence de plusieurs groupes génétiques distincts semble indiquer une « origine liée à plusieurs événements d’émergence impliquant des souches jusqu’alors non signalées, dont la transmission aurait été rendue possible par des foyers d’infection persistants, non identifiés, présents le long du parcours migratoire vers l’Europe ».
Situation en 2023
Sur le plan épidémiologique, l’étude montre qu’en 2023, le nombre de cas d’infection à C. diphtheriae avec des isolats porteurs du gène tox était inférieur à celui observé en 2022 (169 contre 362). Pour autant, le nombre total de cas de diphtérie restait largement supérieur à celui observé lors des années antérieures.
En 2023, on comptait 112 cas en Allemagne, 17 aux Pays-Bas, 16 en France, 13 au Royaume-Uni, 8 en Suisse et 3 en Autriche. Deux décès ont été signalés, tous deux survenus chez des migrants. Par ailleurs, les quatre principaux groupes génétiques identifiés en 2022 circulaient toujours en 2023, signe d’une transmission persistante.
Au total, 536 cas de diphtérie, dont au moins trois décès, ont été recensés en Europe depuis le début de l’épidémie de 2022.
Cas secondaires
Des cas secondaires, c’est-à-dire des contaminations survenues chez des personnes ayant été en contact avec un individu infecté, ont été recensés en 2023 au sein de populations vulnérables, notamment parmi des personnes sans domicile fixe et des usagers de drogues injectables. Selon les auteurs, « ces cas secondaires soulignent la nécessité de renforcer les mesures de santé publique et la vigilance clinique ». En d’autres termes, les cliniciens doivent prêter attention aux symptômes de la diphtérie chez les migrants, mais aussi au sein de populations défavorisées et chez les voyageurs de retour de zones d’endémie.
Recommandations
Selon les auteurs, réunis au sein d’un consortium composé des institutions de recherche et de santé publique des pays concernés, ces données suggèrent d’entreprendre en Europe plusieurs mesures pour réduire le risque de telles épidémies à l’avenir, « notamment améliorer la sensibilisation des migrants, de leurs médecins et des personnels en contact avec eux ; mettre en place des protocoles vaccinaux rigoureux pour les migrants, les populations locales ainsi que les personnels médicaux et sociaux ; assurer une surveillance clinique des personnes à risque ; garantir un diagnostic rapide chez les patients symptomatiques et un dépistage des sujets contacts, avec confirmation en laboratoire des cas ; réaliser des tests de sensibilité aux antibiotiques afin de déterminer un traitement et une prophylaxie adaptés ; procéder au séquençage complet du génome des souches toxinogènes et partager les données de séquençage pour mieux comprendre la contagion locale et régionale ». Un programme
très ambitieux mais nécessaire.
Pour en savoir plus :
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