En ce jour d’octobre, le chauffeur de poids lourd s’attendait à passer au maximum quatre à cinq heures au poste-frontière de Sevington, dans le Kent (Royaume-Uni), pour faire inspecter son chargement de produits frais en provenance de Belgique. Mais plus de vingt-quatre heures plus tard, il était toujours sur place. « On ne lui a donné aucune information, ni repas ni accès à une douche », raconte Phil Pluck, qui dirige l’association faîtière de la chaîne du froid au Royaume-Uni, la Cold Chain Federation. Lorsqu’il est finalement arrivé à destination, l’acquéreur des biens a refusé sa cargaison, arguant qu’elle s’était gâtée durant l’attente.
Ce genre de mésaventure est devenue monnaie courante. Depuis le début de l’année, le pays a introduit de nouveaux contrôles à ses frontières, dans le cadre du Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), devenue effective le 31 janvier 2020. Depuis février, certains produits d’origine animale (fromages au lait cru, œufs, viande, poissons) et végétale (fleurs coupées, plants destinés à la culture de fruits ou de légumes, semences) en provenance de l’UE doivent obtenir un certificat sanitaire en amont de leur exportation.
« Nous avons dû avancer nos commandes de quarante-huit heures pour donner le temps à nos fournisseurs d’obtenir ce document, explique Cécile Da Silva, chargée de la comptabilité auprès de La Fromagerie, une minichaîne de magasins établis à Londres. Dans certains cas, nous avons dû engager un agent pour les assister. » Le certificat doit être signé par un vétérinaire, qui peut mener une inspection physique s’il le souhaite.
A cela s’ajoutent des prénotifications qui doivent être envoyées aux autorités en amont de l’arrivée des produits sur le sol britannique. La charge administrative est telle que La Fromagerie y consacre désormais un poste à plein temps, réparti entre quatre employés.
Récolte en péril
Début mai, le gouvernement a agrémenté le dispositif avec des inspections physiques aux postes-frontières. Mais il n’y a pas assez d’inspecteurs, les laboratoires manquent et les systèmes informatiques ne sont pas prêts. « Résultat, seuls de 1 % à 2 % des chargements sont inspectés », dit M. Pluck. Dans certains cas, des échantillons ont dû être envoyés à des laboratoires en Allemagne.
Les rares inspections qui ont lieu se déroulent dans le chaos. « Seul le poste-frontière de Sevington dispose des inspecteurs pouvant mener des contrôles au-delà de 17 heures et le week-end, détaille Nigel Jenney, qui dirige l’association faîtière Fresh Produce Consortium. Sachant que la plupart des importations de produits frais ont lieu durant la nuit, afin de pouvoir être acheminés de bon matin aux marchés de gros, cela oblige tous les camions à passer par là, créant un goulet d’étranglement. » L’attente peut s’étirer jusqu’à quatre-vingt-seize heures, une catastrophe pour les biens périssables.
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