Dans l’Histoire mondiale de la France [sous la direction de Patrick Boucheron, Points, 2018] l’historien Nicolas Delalande note que, « depuis la fin des années 1980 », la loi de 1905 est « sur toutes les lèvres, de gauche et de droite », mais précise que, à mesure que « son texte gagne en intensité politique, la compréhension de son histoire et de sa philosophie d’origine perd du terrain ». Ce paradoxe est aujourd’hui plus perceptible que jamais, alors que nous fêtons le 120e anniversaire de la séparation des Eglises et de l’Etat.
Obéissant à d’autres impératifs que l’approche historique, deux mémoires s’entremêlent. La première, commune à la légende noire catholique et à la légende dorée républicaine, instaure Emile Combes [président du conseil de 1902 à 1905] en « père » d’une loi qui aurait « mis au pas » le catholicisme. En conséquence, la République devrait désormais faire avec d’autres religions, et notamment l’islam, ce qu’elle a effectué naguère avec l’Eglise catholique. Pour la seconde, la République a eu tort de combattre les congrégations, et raison d’effectuer une séparation libérale, sorte de match moral sans vainqueur dans le conflit des « deux France », désormais dépassé.
Si cette seconde mémoire s’avère moins éloignée de la réalité, elle garde l’idée d’un processus législatif lancé par Combes : in fine, celui-ci aurait passé le relais à Aristide Briand, initiateur et rapporteur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et qui l’aurait rendue plus souple. En fait, deux projets divergents ont existé dès le départ des discussions sur la loi du 9 décembre 1905 : celui du président du conseil d’une part, et celui de la commission parlementaire d’autre part. Le premier ne mentionnait pas la liberté de conscience, alors que cette liberté constituait le cœur de la loi aux yeux de la commission. Cette différence de vues finit par dégénérer en conflit, et le départ de Combes fit triompher l’optique de la commission. Le déni de cet antagonisme permet d’ignorer l’affrontement de plusieurs conceptions de la laïcité et de tenter d’en imposer une vision qui ressemble davantage à l’anticléricalisme d’Etat combiste qu’au contenu de la loi de 1905.
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