« One, two, three : is the microphone on ? Is the microphone on ? » La phrase se répète en boucle, encore et encore. Sur le plateau, il y a de la perruque en veux-tu en voilà, des pulls rose fuchsia et des pantalons prince-de-galles, des humains à l’air un peu égaré. Mais où est-on donc ? Dans un spectacle du groupe britannique Forced Entertainment qui, depuis quarante ans, démonte les mécanismes du théâtre pour les remonter de façon qu’ils puissent encore être utiles à faire grincer les rouages de la société du spectacle.
Et pour grincer, ça grince, dans cette nouvelle création intitulée Signal to Noise, d’une virtuosité étourdissante. Sur le plateau, six individus s’affairent comme pour préparer une émission de télévision, un concert ou une pièce de théâtre. Ils déplacent des meubles et des plantes vertes, se changent à toute vitesse en piochant sur les portants remplis de vêtements qui entourent le plateau, tentent de régler leur micro. Et, d’emblée, la machine se détraque : les situations, qui n’ont aucun intérêt, s’effilochent à peine esquissées, les voix entendues tournent en boucle, sans que l’on sache qui parle : « Is the microphone on ? Is the microphone on ? »
Synchronisation labiale
C’est un vertige qu’orchestre Tim Etchells, le génial metteur en scène de la compagnie : vertige d’une humanité qui ne sait plus qui elle est, qui ne sait plus ce qu’est le réel, et même si ce réel a encore une importance, face à la montée irrépressible de l’intelligence artificielle. Les créatures qui s’agitent sur le plateau et changent d’identité à toute vitesse, à coups de costumes délirants et de perruques désajustées, tiennent des propos absurdes et parlent de manière étrange.
Et pour cause : Tim Etchells a choisi de baser tout son spectacle sur le principe de la synchronisation labiale. C’est-à-dire que les interprètes miment des textes préenregistrés par des voix générées par un ordinateur, et où se mêlent sans hiérarchie des bouts de blagues idiotes, de bulletins météorologiques, de considérations sur l’évolution financière mondiale ou sur les catastrophes écologiques en cours et à venir. Ils parlent, ils parlent, en une polyphonie qui devient vite cacophonie, ils répètent des mots qui n’ont aucun sens et aucun effet. Avant que, tout à coup, ils voient s’ouvrir devant eux un gouffre existentiel : « Est-ce que c’est ma voix ? Est-ce que ce sont mes mots ? Mon visage ? Mes yeux ? »
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