« Si nous sommes réunis ici, c’est que la guerre agricole se prépare », a déclaré, lundi 8 décembre, la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, en lançant, du marché de gros de Rungis, les « conférences de la souveraineté alimentaire » destinées à définir une stratégie agricole nationale sur dix ans.
« La guerre agricole menace chaque jour un peu plus et il est temps d’agir », a martelé la ministre, estimant que l’actualité mondiale avec la guerre en Ukraine, la politique douanière américaine ou les taxes chinoises dissipe l’« illusion » d’une prospérité durable, sur fond de pressions climatiques ou encore démographiques, dans un discours appelant à un « grand réveil alimentaire ».
De l’élevage à la viticulture en passant par les céréales, les difficultés sont telles que la balance agricole française pourrait être déficitaire en 2025, pour la première fois en près de cinquante ans. Aujourd’hui, la France importe la moitié des fruits, légumes et du poulet qu’elle consomme, 60 % de la viande ovine, 25 % du bœuf… Ces conférences, promises par la loi d’orientation agricole de mars 2025, se dérouleront sur plusieurs mois, par filières de production et au niveau régional, pour des conclusions en juin.
« Toutes ces puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte. Et pendant ce temps, sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance portées par quelques thuriféraires du décadentisme », a-t-elle fustigé.
« Depuis 2014, le financement de la politique agricole et alimentaire chinoise par habitant a bondi de 40 % ; celle des Etats-Unis de 86 % ; celle de la Russie de 15 %. Et celle de l’Union européenne a reculé de 19 %. C’est une erreur historique à laquelle il faut faire barrage », a-t-elle développé. « La guerre, la vraie, n’a plus rien d’impossible, chaque jour nous le rappelle. Il nous faut nous y préparer. Si elle éclate, que les Français le comprennent bien, c’est sur nos agriculteurs, et sur eux seuls, qu’il faudra compter pour nous nourrir », a-t-elle affirmé.
Menace de déclassement
La ministre a listé les « lames de fond » qui menacent de déclassement la première puissance agricole européenne. La première d’entre elles est « l’érosion de[s] facteurs de production » avec celle des « forces humaines d’abord, puisque dans les dix prochaines années, un actif agricole sur deux partira à la retraite », a-t-elle rappelé, avant d’évoquer « la volatilité des prix », « le poids des charges », « le dérèglement climatique » et enfin les « choix de consommation ».
« La part que les Français consacrent à l’alimentation dans leur budget a reculé de manière spectaculaire ces dernières années, passant de 35 % en 1960 à moins de 20 % aujourd’hui », a-t-elle constaté, plaidant pour un « patriotisme alimentaire ».
Cette entrée en matière a fait bondir la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui participera au chantier, mais pas à son lancement, « s’apparentant davantage à une opération de communication ». « Cela fait quinze, vingt ans qu’on dit qu’on va dans le mauvais sens. Ce qui nous intéresse maintenant, c’est ce qu’on va faire (…) comment on assure des revenus sur les exploitations », souligne le secrétaire général de la FNSEA, Hervé Lapie.
Le premier syndicat goûte assez peu ce retour « symbolique » à Rungis, où Emmanuel Macron avait en 2017 prôné une stratégie de « montée en gamme », depuis percutée par l’inflation et la concurrence accrue sur les marchés. Huit ans plus tard, l’ambiance est morose. Après deux hivers de colère dans les campagnes, le monde agricole reste au bord de l’explosion, entre crises sanitaires dans l’élevage et prix en berne.
La mobilisation s’organise, en France contre la politique d’abattage systématique de bovins touchés par la dermatose, et à Bruxelles, où une manifestation est prévue le 18 décembre contre l’accord de libre-échange UE-Mercosur ou la taxe carbone aux frontières pour les engrais.
Pour la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole qui boude aussi le discours de Rungis, « le ministère ne répond pas aux attentes actuelles des agriculteurs » qu’on « empêche de produire » avec des contraintes trop fortes. A rebours de cette vision antinormes, la Confédération paysanne est aussi critique du gouvernement, estimant que la souveraineté est avant tout la capacité d’une société à choisir son agriculture et non une course pour produire et exporter plus.
Groupes de travail sectoriels
Plusieurs filières soulignent que le temps n’est plus « aux nouvelles consultations » mais aux « décisions » : « il y a urgence », a résumé l’interprofession de la viande mercredi. Certaines ont établi des diagnostics précis, comme celle de la betterave sucrière, ou lancé des « plans de souveraineté » comme les fruits et légumes en 2023, ou le blé dur et la viande en 2024. Qu’espérer donc de ces conférences ?
L’idée est de construire à partir « de l’évolution de la demande », en interrogeant notamment les industriels : « Il s’agit bien d’élaborer un plan d’action de production et de transformation à dix ans et on fera en sorte de partir de la demande du consommateur français, européen et mondial », explique le ministère. Des « projets structurants » seront identifiés, de même que des « trajectoires de production », assure-t-on.
Ce plan devra aussi tenir compte de la stratégie française de lutte contre le changement climatique ou de réduction des pesticides. Ludovic Spiers, ex-directeur général de la grande coopérative agricole Agrial, a été nommé « coordinateur général » du chantier.
Des groupes de travail sectoriels sont prévus (cultures, viandes blanches, viticulture…), réunissant les interprofessions, l’amont (l’agriculture) et l’aval (la transformation), l’établissement public FranceAgriMer, la recherche. Elles devront aussi prendre en considération des stratégies nationales nutrition et climat (Snanc, SNBC…) qui se font toujours attendre.










