TV5 MONDE – VENDREDI 23 AOÛT À 23 H 50 – DOCUMENTAIRE
D’abord, des rires, ceux d’une vieille femme, pas vraiment toutes ses dents mais toute sa tête, sertie d’un casque audio face à un ordinateur : Suzanne Claudel visionne « son » documentaire, celui dont elle est l’héroïne, pour validation. Sa bonne humeur est communicative. Ainsi débute Suzanne, jour après jour, involontaire leçon de bonheur par l’exemple d’une ancienne professeure de mathématiques, née en 1930.
Pendant un an, en 2021, « [s]es cinéastes », comme elle les nomme, l’ont en effet suivie au quotidien, dans sa ferme natale à Rochesson, dans les Vosges, où elle a choisi de vivre seule depuis qu’elle est à la retraite. Ses cheveux gris coiffés en une longue natte, Suzanne sort dans le jardin pour profiter du paysage au petit matin. Elle est filmée avec respect, avec délicatesse. Beaucoup de soin est apporté aux cadrages, à la manière tantôt d’une nature morte, tantôt d’un tableau vénitien.
L’extérieur de la maison a le charme de l’ancien, entre les pierres et la vue vallonnée ; l’intérieur est basique, pas très net ; la vieille cuisinière plutôt moche jouxte la télévision, et la radio permet d’écouter France Bleu Lorraine.
Vêtue d’une jupe écossaise et d’un gilet bleu, Suzanne Claudel se tient droite et apprécie de « faire ce qu’[elle veut] quand [elle veut] ». C’est-à-dire rire au téléphone, tricoter, arracher des carottes, qu’elle nettoie et couvre d’un journal, faire ses mots croisés. Elle descend à la cave, remonte ses conserves.
Variantes saisonnières
Le soir, elle regarde le ciel puis active une manivelle pour la lumière. Suzanne n’est pas sans électricité, elle est autonome en électricité. « C’est du 110 [volts], fournis par une turbine que mes parents ont installée sur la rivière », en contrebas. De même pour l’eau, qui lui arrive certes par un système de tuyaux et de brocs bringuebalants, mais arrive.
A cette trame s’ajoutent des variantes saisonnières : arracher les poireaux enneigés l’hiver, retourner le potager en pantalon bleu clair au printemps ; aller l’été à la fête dans le champ voisin. Elle aime aussi jouer aux cartes, boire un guignolet maison avec le jeune horticulteur qui lui livre des plants, poser pour un photographe, regarder la messe de Noël sur la chaîne KTO.
Régulièrement, elle prend sa voiture, toujours impeccablement habillée, pour aller en ville acheter le pain. Elle salue au passage les habitants qu’elle connaît. « On se crée des besoins, mais finalement on peut s’en passer », estime Suzanne Claudel. Connaît-elle Pierre Rabhi, figure de l’agroécologie ? Personne ne lui demande. Sans le savoir, elle incarne la « sobriété heureuse » que le fondateur de l’association Colibris, en Ardèche, a toujours prônée. Le téléphone sonne ? Il attendra qu’elle ait râpé les navets. Il y a des priorités.
Suzanne, jour après jour, de Stéphane Manchematin et Serge Steyer (Fr., 2023, 90 min).