La revue des revues. La pensée écologique contemporaine n’est pas une conversation policée : elle est une lutte dont les combattants doivent être capables, tantôt de s’aventurer aux confins de la métaphysique, tantôt de parler à la télévision. Une bataille des idées, bien sûr, mais aussi un siège de l’imaginaire. C’est du moins de cette façon que Terrestres, « la revue des écologies radicales », a été conçue.
Savante et militante, cette revue en ligne est structurée autour d’un collectif de pensée aux contours malléables. On y retrouve, autour de trois journalistes salariés, tout un réseau de chercheurs. N’attendez pas de livraison périodique : les articles paraissent au fil de l’eau. Une « série » intitulée « A69, du goudron et des thunes » est actuellement consacrée à l’autoroute qui devait relier Toulouse et Castres.
Dans la revue Terrestres, le combat pour les idées apparaît d’abord comme une lutte des images et des corps. Le photographe Alexis Pichot, qui a observé les actions des zadistes perchés dans les arbres pour freiner la progression des travaux, en a tiré des images d’une perturbante beauté : dans son « éloge des écureuil·les », des faisceaux lumineux traversent les gaz lacrymogènes, un pied nu s’enfonce dans la boue, une forme humaine se confond, dans les branchages, avec un buisson de gui.
Une autoroute n’est jamais terminée
Autorisés par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn en mars 2023, les projets d’autoroute A69 et d’élargissement de l’autoroute A680 ont été annulés, le 27 février, par le tribunal administratif de Toulouse. On comprend, en lisant Terrestres, à quel point la mise en récit fait partie de la bataille. L’Etat et le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, situé à Castres, racontent ainsi une histoire fondée sur la notion de « désenclavement » : l’autoroute, proclament-ils, favorisera le progrès économique en rapprochant les habitants du Tarn de la capitale toulousaine.
L’économiste Geneviève Azam propose cependant une tout autre lecture de cette notion présentée comme positive : elle y décèle, au contraire, un héritage « modernisateur et colonial ». Comparant le « désenclavement » défendu aujourd’hui par les partisans de l’A69 au « remembrement » initié sous Vichy – tous deux promettant l’idée d’une continuité entre l’exploitation économique et technique –, elle estime que ce processus ouvre « les portes d’une vie globalisée et métropolisée ».
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