« Bob Dylan électrique. Newport 1965, du folk au rock. Histoire d’un coup d’Etat » (Dylan Goes Electric ! Newport, Seeger, Dylan, and the Night That Split the Sixties), d’Elijah Wald, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emilien Bernard, Rivages poche « Rouge », 544 p., 11 €.
« La République invisible. Bob Dylan et l’Amérique clandestine » (Invisible Republic. Bob Dylan’s Basement Tapes), de Greil Marcus, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Lasquin et Lise Dufaux, Les Belles Lettres, « Le goût de l’histoire », 368 p., 17 €.
« Rolling Thunder. Sur la route avec Bob Dylan » (Rolling Thunder Logbook), de Sam Shepard, photographies de Ken Regan, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, Les Belles Lettres, « Domaine étranger », 248 p., 17,50 €.
Le spectacle est dans la salle, dit-on souvent. Alors, les rôles s’inversent, et c’est au public de créer l’événement par son adulation débordante ou ses protestations, sifflets stridents et montées de sang s’épanouissant en cris d’amour ou en bordées d’insultes. Si l’on pense d’emblée à la batailleuse création d’Hernani au Théâtre-Français (25 février 1830) ou au « massacre du Printemps » (29 mai 1913) au Théâtre des Champs-Elysées avec son compositeur réfugié dans les coulisses et son orchestre inaudible, on pense moins au Newport Folk Festival, le 25 juillet 1965, au putschiste Bob Dylan. Là, nul besoin de distordre l’alexandrin ou de faire déferler sur scène les fastes de la Russie païenne, rien que de brancher sa Fender Stratocaster sur la génératrice, de durcir le ton et de monter le son. Alors, le mauvais tour est joué, le ver électrique dans le doux fruit acoustique. Il y était déjà, par ailleurs. Le crime de lèse-ruralité qu’en trois chansons Bob Dylan a commis ce jour-là, Elijah Wald nous le conte avec une érudition et une ferveur folles. Au sein d’une communauté « folky », groupée autour du bon géant Pete Seeger, adonnée au culte du chantre acoustique, éprise du bon vieux temps et engagée à la dure dans le combat syndical, Dylan, Ray-Ban opaques, veste en cuir et cordes en acier, envoie un autre message : les temps changent, le ciel se charge à Watts et à Da Nang, on ne cueille plus le fruit sur l’arbre, on met les doigts dans la prise. Mais le peuple folk électrocuté n’est pas d’accord. « Judas », crie-t-on à l’homme noir qui s’exfiltre au bout d’un quart d’heure. Rien ne sera plus tout à fait pareil au monde enchanté de la culture populaire américaine. Révolue l’innocence, révolutionnées les mentalités, « voici venir le temps des assassins », de Jim Morrison à Nick Cave. Prophètes de malheur contre marchand de bonheur : la question reste posée.
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