A l’aube du 7 octobre 2023, Nahed Shuheibar boit un café avec ses fils, après la prière, sur le balcon de leur grande maison, qui domine la plus belle plage de Gaza, tout au nord de l’enclave. Au même moment, Amal Nassar, enceinte de six mois, bavarde avec d’autres professeures des écoles dans un bus qui roule vers Rafah, à la frontière sud. Près de la cabane où il passe la plupart de ses nuits, à Beit Hanoun, Ahmad Al-Kafarneh travaille déjà dans les oliveraies de son père. Du haut d’une courte falaise de calcaire, sa vue porte au-delà des murs de béton qui enserrent le nord de Gaza, vers les villages israéliens de Netiv Haasara et de Zikim.
Soudain, une roquette gronde par-dessus le toit de la maison des Shuheibar, filant droit vers le large. « Je me suis demandé si le Hamas testait un pas de tir. Puis une deuxième roquette est partie, puis une troisième et une quatrième… », raconte cet entrepreneur et chef de clan, joint par téléphone, comme tous ceux interrogés pour cet article, puisque Israël interdit depuis un an aux médias internationaux de se rendre à Gaza. Dans son bus, Amal Nassar entend elle aussi résonner les tirs du Hamas. « Des habitants de l’est de Rafah fuyaient loin de la frontière. J’ai eu peur pour mes enfants, j’ai appelé mon mari pour lui demander de ne pas les envoyer à l’école. »
Ahmad Al-Kafarneh, sur sa colline, comprend très bien ce qu’il se passe. Il a l’habitude de croiser dans ses champs des miliciens du Hamas faisant la chasse à des Gazaouis désespérés qui tentent de fuir l’enclave. « Après les premières explosions de roquettes, des hommes armés ont franchi la frontière, en voiture, à moto et même à pied ! », se souvient-il. Ces miliciens filent vers le terminal militaire israélien d’Erez, la porte nord de Gaza, dont les murs anti-explosions se découpent derrière un hameau de tôle, un champ de maïs et un no man’s land. « Nous étions sûrs que les Israéliens leur tireraient dessus et les tueraient. Nous avons couru nous mettre à l’abri au village », raconte Ahmad.
« Les gens rapportaient des rumeurs folles »
Nahed Shuheibar, lui, s’est précipité au marché de Beit Lahya : « J’ignorais ce qu’il se passait, mais je savais que ce serait sérieux et qu’il fallait faire des réserves de nourriture. Les gens rapportaient des rumeurs folles… Et puis, un peu après 6 h 30, j’ai vu des gars [du Hamas] qui roulaient vers la frontière et j’étais surpris, parce qu’ils ne craignaient pas de montrer leurs visages : ils ne portaient même pas de masques. »
Il vous reste 87.25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.