En 1987, le corps d’une fillette avait été retrouvé le long d’une autoroute, dans le Loir-et-Cher.
Elle n’a été identifiée que 31 ans plus tard, grâce à l’ADN de son frère.
Les protagonistes du dossier s’insurgent qu’aujourd’hui encore, aucun procès ne soit prévu pour juger ses parents, les principaux suspects.
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Le 20H
« Le corps d’une fillette de 3 ou 4 ans, battue à mort, a été découvert sur le bord de l’autoroute A10 », annonçait Jean-Pierre Pernaut dans le JT de TF1 du 11 août 1987. Ce jour-là, les gendarmes découvrent son cadavre mutilé, présentant de nombreuses traces de sévices, caché sous une petite couverture bleue, sur le bas côté. Elle n’a alors ni nom, ni prénom. La presse lui donne donc un surnom, resté dans les mémoires : « la petite martyre de l’A10 ». Elle sera enterrée non loin de là, à Suèvres (Loir-et-Cher), où tous les habitants la considèrent, depuis, comme une des leurs. Aujourd’hui, près de 38 ans plus tard, l’enquête, pour retrouver les assassins de l’enfant, a bien avancé. Mais aucun procès ne se dessine à l’horizon.
Il aura fallu, malgré 30.000 appels à témoins placardés à travers la France. 60 000 écoles contactées et 6.000 pédiatres sollicités, 31 ans et un coup de chance rien que pour parvenir à identifier la fillette. En 2018, les gendarmes interpellent un homme pour une banale bagarre et, grâce à son ADN, la science établit avec certitude qu’il est le frère de la petite martyre de l’A10. Les enquêteurs se plongent alors dans des documents administratifs et découvrent que la trace d’une des enfants de la fratrie se perd subitement en 1987, à l’âge de quatre ans. Elle s’appelle Inass Touloub.
Ses parents sont arrêtés dans la foulée, sa mère se retrouvant vite désignée comme la meurtrière, ce qu’elle dément aujourd’hui encore. Et puis, le 25 septembre dernier, au bout de six ans de procédure et de pourvois, la Cour de cassation finit par acter la tenue d’un procès devant une cour d’assises, pour « actes de torture et actes de barbarie ayant entraîné la mort » concernant la mère, et pour « complicité » s’agissant du père. Un procès dont la date n’a, en revanche, toujours pas été fixée.
En cause : une lettre envoyée récemment à la chancellerie par les magistrats d’Orléans, chargés de juger le couple. Impossible, d’après ces juges, d’organiser ce procès avant 2027, en raison, peut-on lire dans la missive en question, visible dans l’enquête du 20H de TF1 de ce jeudi 3 avril en tête de cet article, d’un « long et soudain arrêt de travail », d’une « reprise en douceur, avec le moins de stress possible », d’un « départ non remplacé », ainsi que d’un « congé parental de plusieurs mois ».

Gilbert Meunier, l’un des premiers gendarmes à avoir découvert le corps, s’exaspère à l’idée que les parents, brièvement incarcérés, vivent en liberté depuis de longues années et puissent continuer de le faire, au moins jusqu’en 2027. « La justice, au nom du peuple et au nom d’Inass, pourrait ne jamais être rendue. Ça reviendrait à tirer un trait sur elle, considère l’ex-membre du peloton autoroutier de Blois. Je garderai toujours en tête son visage apaisé, celui de l’innocence même. C’est sûr, elle m’accompagnera toujours. C’est le fait le plus grave et le plus marquant de ma carrière. »

Tous les acteurs de l’enquête pointent le même risque. Celui que les parents, âgés de 71 et 73 ans, et en mauvaise santé, meurent avant un hypothétique procès, sans jamais avoir eu à s’expliquer. « Bientôt 38 ans après les faits, c’est totalement incompréhensible qu’on n’ait pas eu à cœur de donner toute la priorité à ce dossier pour le juger, s’insurge aussi Georges Domergue, tout premier juge d’instruction chargé du dossier en 1987. C’est une sorte d’autre meurtre. C’est un attentat à sa mémoire. L’assassinat de son souvenir. Voilà donc le sort réservé à ce dossier, à ce travail des enquêteurs. C’est inacceptable. »

Même son de cloche du côté de Raphaël Pilleboue, ancien maire de Suèvres de 2008 à 2014, également hanté par cette affaire depuis le premier jour, et pour qui aucune excuse ne peut justifier de tels délais. « C’est un irrespect total pour la petite. Vraiment total, insiste-t-il, en se recueillant devant la tombe de l’enfant. Je l’appelle ‘la petite’ parce que, pour nous, c’est la petite du village. Dans deux ans, ça fera quarante ans que ces faits se sont produits. Vous vous rendez compte ? Je suis désolé de le dire mais on marche sur la tête ! » Au moins, la petite martyre de l’A10 aura retrouvé son nom.