C’est l’histoire d’un jeune militaire américain de 23 ans (1,85 m pour 90 kg), jusque-là en bonne santé, qui s’effondre lors d’un entraînement individuel sur le terrain. L’exercice se déroule sans binôme, en pleine nature, dans des conditions climatiques éprouvantes : 29,3 °C au thermomètre, 78 % d’humidité relative. Par mesure de sécurité, chaque participant est équipé d’un système de géolocalisation GPS.
Vers 9 h 45, les superviseurs constatent, à partir du signal GPS, que le militaire est immobile depuis plusieurs minutes. Un groupe d’instructeurs est aussitôt dépêché sur les lieux. Il est retrouvé à 10 h 16, allongé face contre terre, inconscient, présentant un œdème facial marqué et des difficultés respiratoires. Craignant une réaction allergique sévère, les premiers intervenants lui administrent de l’adrénaline.
Le jeune homme est ensuite évacué à travers une végétation dense sur environ 150 mètres, jusqu’au chemin d’accès le plus proche. À leur arrivée, les secours relèvent une température centrale rectale de 41,7 °C. L’uniforme est retiré et un protocole de refroidissement d’urgence est immédiatement engagé à l’aide de draps imbibés d’eau glacée (méthode dite « ice sheet »).
Une vingtaine de minutes plus tard, les ambulanciers prennent le relais. Le rythme cardiaque du jeune homme est à 155 battements par minute, la fréquence respiratoire rapide à 22 par minute. Une sonde thermique placée dans le rectum indique, à 10 h 44, une température centrale de… 44,3 °C.
Pendant le transport, une perfusion de sérum salé refroidi à 4 °C est initiée. Le refroidissement externe est poursuivi par arrosage à l’eau glacée, en complément du protocole « ice sheet ». Le patient est admis aux urgences à 10 h 52, avec une température corporelle centrale toujours très élevée : 43,3 °C, soit à peine un degré de moins que huit minutes plus tôt.
Après son admission aux urgences de la base militaire, le refroidissement est intensifié jusqu’à atteindre une température centrale de 38 °C à 11 h 30.
Le tableau clinique correspond à un coup de chaleur d’exercice (exertional heat stroke), une pathologie caractérisée, après un effort physique soutenu, par une élévation de la température corporelle centrale au-delà de 40 °C, associée à des troubles neurologiques. Contrairement à la température périphérique, souvent mesurée au creux de l’aisselle, la température centrale est habituellement prise par voie rectale, car elle reflète fidèlement la température réelle de l’organisme, indépendamment de celle de la peau ou de l’environnement extérieur.
Le jeune militaire est sédaté, intubé et placé sous ventilation mécanique. Une hypotension persistante nécessite l’administration de noradrénaline afin de maintenir une pression artérielle moyenne supérieure à 65 mmHg. Les examens biologiques mettent en évidence une atteinte hépatique ainsi qu’une atteinte myocardique. Un trouble grave de la coagulation, appelé coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), caractérisé par la formation de nombreux petits caillots dans les vaisseaux sanguins, est suspecté sur les bilans réalisés quatre heures après son transfert en soins intensifs. Une transfusion de plasma frais congelé est entamée peu avant son évacuation en hélicoptère vers un hôpital.
Le diagnostic final est celui d’un coup de chaleur d’exercice compliqué par une défaillance multiviscérale. Le patient présente une encéphalopathie (atteinte cérébrale), un infarctus du myocarde, une insuffisance hépatique aiguë, une CIVD et une insuffisance rénale nécessitant une dialyse.
Au cours de son séjour de sept jours en unité de soins intensifs, l’état clinique s’améliore progressivement. Le patient présente cependant un trouble du langage manifeste (aphasie).
Trois semaines après l’accident, il est transféré en rééducation. Sa kinésithérapie dure 14 mois. Il poursuit ensuite sa récupération sur le plan neurologique. L’aphasie s’atténue nettement. Le jeune homme est déclaré apte à reprendre son service actif, sans restriction.
Ce cas clinique a été rapporté, en avril 2025, par des médecins militaires américains dans le Journal of Applied Physiology. David De Groot et ses collègues (Martin Army Community Hospital, Fort Moore, Géorgie) décrivent les interventions (« chaîne de survie ») conduites chez ce patient victime d’un coup de chaleur d’exercice. Il a présenté la température centrale la plus élevée jamais enregistrée (44,3 °C) chez un patient ayant survécu sans séquelles majeures.
Bien que l’on ne puisse ignorer qu’il s’agissait d’un militaire jeune et en excellente condition physique, de nombreuses décisions et interventions prises au cours des premières 24 heures ont probablement contribué à l’issue favorable. En effet, pour des raisons de sécurité, tous les participants portaient un dispositif de géolocalisation. Il est très probable que le jeune militaire serait décédé sans ce dispositif GPS, qui a permis de localiser rapidement sa position.
De plus, le membre de l’encadrement non médical qui a retrouvé le patient dans une zone densément boisée se trouvait à environ 300 mètres. Il a communiqué par radio sa position approximative pour qu’on vienne le rejoindre, puis a porté le patient de 90 kg sur environ 150 mètres à travers une végétation épaisse, afin de le rapprocher le plus rapidement possible des secours. Son intervention, en assurant un transfert rapide vers les soins, a probablement également contribué au sauvetage de ce patient.
Enfin, une installation fixe disposant d’un bassin d’immersion en eau glacée se trouvait à moins de 1,6 km du lieu de l’incident.
Refroidir le patient de toute urgence
En cas de coup de chaleur, le refroidissement constitue une urgence thérapeutique absolue. Il doit être initié sans délai, directement sur le terrain, sans attendre l’admission en milieu hospitalier.
La méthode de référence repose sur le refroidissement par conduction, à savoir l’immersion d’un patient déshabillé dans de l’eau froide, idéalement entre 5 °C et 15 °C. Un secouriste se tient au niveau de la tête du patient afin d’immerger le cuir chevelu tout en veillant à garder les voies aériennes supérieures dégagées et hors de l’eau.
Cette immersion permet une baisse rapide de la température centrale, jusqu’à 0,4 °C par minute avec de l’eau glacée à 2°C, contre à peine 0,2 °C avec de l’eau à température ambiante (15°C-20°C).
En l’absence de baignoire, des dispositifs improvisés (tels qu’une bâche, une housse remplie d’eau ou un matelas immobilisateur) peuvent être utilisés pour assurer une immersion complète. L’intubation, si elle s’impose, ne doit en aucun cas retarder le refroidissement, d’autant que la récupération neurologique s’observe généralement dès que la température baisse.
À défaut d’immersion, des techniques de substitution (aspersion d’eau froide avec ventilation, application de draps mouillés) peuvent être envisagées, bien que nettement moins efficaces. La perfusion de soluté froid, souvent utilisée, s’avère bien moins efficace que l’immersion.
Il est à noter que l’administration de médicaments antipyrétiques pour faire baisser la température n’est pas recommandée dans la mesure où ils peuvent présenter un risque en cas d’insuffisance hépatique induite par le coup de chaleur. De même, la prise d’aspirine est contre-indiquée en raison de la possibilité de survenue d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).
Une surveillance continue de la température centrale, par voie rectale, est indispensable pendant au moins quinze minutes après le refroidissement pour prévenir un éventuel rebond thermique, ce qui nécessiterait une réimmersion de
la personne.
L’arrêt du refroidissement n’intervient que lorsque la température centrale est descendue sous les 38,5 °C, ce qui correspond à une perte de 0,15 °C par minute. La survie est quasiment assurée si la température centrale est ramenée sous 38,9 °C aussi rapidement que possible.
ll est à noter qu’aucune complication, ni décès, n’ont été observés chez de jeunes sportifs nord-américains refroidis dans les trente minutes après la survenue du CCE. On l’a compris : refroidir le plus vite possible est une question de survie.
Un refroidissement précoce permet généralement un retour rapide à un examen clinique parfaitement normal une fois la température corporelle abaissée. Une
évaluation reste néanmoins nécessaire afin d’effectuer des examens biologiques destinés à exclure une atteinte aiguë des fonctions rénale et hépatique.
En cas de refroidissement tardif, le patient peut présenter des défaillances viscérales, en particulier une atteinte du foie. Dans les formes les plus sévères, une inflammation (hépatite aiguë) peut survenir, pouvant justifier une évaluation par un service de transplantation.
Anticiper les mesures d’organisation du refroidissement
Afin d’assurer une prise en charge optimale, il est essentiel que les postes de soins situés sur les lieux de compétitions sportives ou sur des sites à risque (tels que des terrains d’entraînement militaire ou lors d’incendies de grande ampleur) disposent des installations nécessaires et d’un personnel formé à la reconnaissance et au traitement immédiat du coup de chaleur.
De même, les opérations de lutte contre les incendies de grande ampleur exposent les sapeurs-pompiers au risque de coup de chaleur d’exercice. En présence de conditions particulièrement critiques, la mobilisation d’équipes médicales est pleinement justifiée, tant pour anticiper la survenue de CCE que pour prendre en charge d’éventuelles victimes.
Le coup de chaleur d’exercice (CCE) a été défini en 2002 comme « une encéphalopathie se produisant au cours ou au décours immédiat d’un exercice physique intense et prolongé, associé à une hyperthermie, pouvant se compliquer d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique puis d’une défaillance multiviscérale susceptible d’entraîner le décès ». En d’autres termes, l’effort musculaire provoque un dysfonctionnement du système nerveux central avec une élévation de la température centrale, accompagnée d’une inflammation généralisée, pouvant s’accompagner de lésions tissulaires ou d’organes (foie, reins, cœur).
Le CCE diffère du classique coup de chaleur (classic heatstroke). Lors d’une période caniculaire, des troubles neurologiques chez les sujets fragiles (comme les personnes âgées), ou les travailleurs en extérieur, doivent faire évoquer le diagnostic d’un coup de chaleur environnemental.
Les pathologies liées à la chaleur (heat illness) s’inscrivent dans un continuum. On décrit ainsi l’épuisement hyperthermique (heat exhaustion) et l’accident hyperthermique (heat injury).
L’épuisement hyperthermique correspond à une température centrale inférieure ou égale à 40 °C, associée à une incapacité à poursuivre l’exercice, survenant pendant ou au décours immédiat de l’effort en ambiance chaude, mais sans signes neurologiques majeurs, hormis des céphalées ou des sensations vertigineuses. Il cède rapidement après un refroidissement minimal.
L’accident hyperthermique s’accompagne, lui, de symptômes témoignant d’une souffrance d’organe (foie, rein, tube digestif, par exemple) ou musculaire (rhabdomyolyse ou dégradation du tissu musculaire squelettique), mais sans survenue de signes neurologiques graves. Il provoque crampes, nausées,
effondrement de la pression artérielle (collapsus), ce qui entraîne l’arrêt
volontaire de l’activité physique.
Une pathologie bien connue en milieu militaire et sportif
Le coup de chaleur d’exercice (CCE) est le plus souvent rencontré en milieu militaire. En France, ces cas sont répertoriés par le Centre épidémiologique et de santé publique des armées (CESPA). Depuis 2004, on observe une diminution progressive du nombre des cas de CCE déclarés : environ 120 cas par an de 2004 à 2006, puis environ 100 cas par an de 2007 à 2009, et 69 cas en 2010. Quatre décès ont été recensés entre 2004 et 2011.
Le CCE est une pathologie régulièrement rencontrée dans le milieu des compétitions sportives. Elle peut même entraîner le décès.
Lors des Jeux olympiques d’été de 2020 à Tokyo (organisés en 2021), les épreuves de marche athlétique et de marathon ont été délocalisées à Sapporo pour éviter les fortes chaleurs prévues à Tokyo. Pourtant, Sapporo a connu des
températures exceptionnellement élevées, avec des maximales supérieures à 30 °C pendant plusieurs jours consécutifs. Au total, 50 athlètes ont été transférés au poste médical : 28 après avoir terminé la course (effondrement après le franchissement de la ligne) et 24 pendant l’épreuve. Parmi eux, 96 % présentaient des signes de pathologie liée à la chaleur, dont deux cas de coup de chaleur d’exercice avéré (température rectale supérieure à 40,5 °C avec troubles neurologiques) et trois cas d’épuisement sévère lié à la chaleur (température rectale supérieure à 39,5 °C, avec ou sans troubles neurologiques).
Tous ces athlètes ont été refroidis par immersion complète dans l’eau froide sur la zone dédiée au refroidissement, située dans le poste médical réservé aux athlètes. Tous les sportifs ayant bénéficié de cette méthode de refroidissement ont récupéré sans complication. Le temps nécessaire pour abaisser leur température rectale en dessous de 39 °C a été en moyenne de 14 minutes (entre 6 à 30 minutes).
Le CCE a également été décrit lors de courses populaires d’une dizaine de kilomètres ou de semi-marathons.
Publiée en 2024 dans le Journal of Athletic Training, une étude rétrospective sur 8 ans (2012-2019) a évalué l’incidence du CCE lors de la Falmouth Road Race, une course de 11,3 km réunissant chaque année le troisième dimanche d’août plus de 10 000 participants en août dans le Massachusetts. Au total, 180 cas de coup de chaleur d’exercice (CCE) et 239 cas d’affections liées à la chaleur ont été recensés. Tous les patients atteints de CCE ont survécu, notamment grâce à l’application rapide d’un refroidissement par immersion en eau froide.
Cette course constitue la deuxième base de données civiles la plus importante sur les cas de CCE, avec un total de 454 survivants recensés sur 26 ans. L’analyse a révélé une forte corrélation statistique entre l’indice WBGT et l’incidence des CCE. Le WBGT (Wet Bulb Globe Temperature), indice de contrainte thermique à la chaleur, est calculé à partir des paramètres climatiques suivants : la température de l’air, l’humidité de l’air, le rayonnement solaire et la vitesse de l’air.
Plus le WBGT est élevé, plus les cas de CCE augmentaient, atteignant un pic de 3,2 cas pour 1 000 participants lors des années les plus chaudes. Toutefois, grâce à un dispositif médical impressionnant, incluant plus de 30 bains d’eau froide et plus de 100 lits de traitement répartis sur quatre tentes médicales, la survie a été de 100 %, quel que soit l’âge ou le sexe des coureurs. La température rectale initiale était de 41,4 °C.
Ces données confirment l’efficacité du traitement immédiat par immersion en eau froide dans les courses sur route en cas de coup de chaleur d’exercice.
Facteurs favorisants
Le coup de chaleur d’exercice (CCE) résulte d’un déséquilibre entre la production excessive de chaleur liée à l’effort physique et l’incapacité du corps à l’éliminer efficacement.
La sudation est le principal mécanisme d’élimination de l’énergie thermique produite en excès par l’organisme vers le milieu extérieur. Tout facteur entravant
ce processus, appelé thermolyse, comme une forte humidité, des vêtements inadaptés ou l’absence de ventilation, peut favoriser la survenue d’un CCE, même par temps frais ou sans exposition directe à la chaleur.
Les facteurs de risque peuvent être individuels : surmotivation poussant à poursuivre l’effort malgré les signes d’alerte, enjeu personnel empêchant l’arrêt, état de santé altéré (infection virale ORL ou digestive), consommation de substances toxiques ou d’alcool.
Parmi les facteurs environnementaux favorisant le CCE, on note la chaleur, l’humidité, le port de vêtements épais, non respirants ou imperméables (comme les tenues de pompiers ou de militaires). Des horaires d’activité physique inadaptés aux conditions climatiques relèvent des facteurs organisationnels contribuant à la survenue du CCE.
Ainsi, le coup dechaleur d’exercice peut survenir dans divers contextes, même en
l’absence de canicule, lorsque les facteurs intrinsèques et extrinsèques empêchent une dissipation efficace de l’énergie thermique produite par l’organisme. La température ambiante ne constitue donc pas une condition indispensable à la survenue d’un coup de chaleur d’effort, bien qu’elle en accroisse le risque.
Aux États-Unis, une autre catégorie de jeunes adultes est particulièrement à risque de développer un CCE. Publiée en décembre 2024, une étude a montré qu’entre 1982 et 2022, 67 décès liés au coup de chaleur d’exercice ont été recensés chez des athlètes des écoles secondaires, selon les données du National Center for Catastrophic Sports Injury Research (NCCSIR). Disposant de 40 années de données, il s’agit à ce jour de la plus vaste base recensant des cas de CCE en dehors de la population militaire.
L’enseignement principal de cette étude est que le nombre de décès par CCE chez les lycéens est resté globalement stable depuis les années 1980, avec
toutefois un pic notable entre 2002 et 2011.
La quasi-totalité des victimes étaient des garçons (98,5 %), majoritairement âgés de 16 ou 17 ans. Le football américain représente 94 % des décès, principalement survenus lors des entraînements officiels, surtout en août (52 % des cas) et dans
les États du sud (75 %). Un pic de mortalité a été observé entre 2002 et 2011, avec une moyenne annuelle doublée par rapport aux deux décennies précédentes.
Malgré une baisse relative au cours de la décennie suivante, le nombre de décès est resté stable depuis les années 1980. Ces chiffres sont probablement sous-estimés en raison de la nature du système de signalement. Or, des mesures simples et peu coûteuses, comme la présence de professionnels de santé formés et de dispositifs de refroidissement rapide sur place, permettent une survie
dans 100 % des cas. La prévention reste donc cruciale pour éviter des décès.
Diversité des mécanismes physiopathologiques
Les mécanismes à l’origine du coup de chaleur d’exercice ne sont pas encore complètement élucidés. Ils semblent résulter d’une combinaison d’un effet toxique direct sur les cellules, en particulier cérébrales, et d’une réponse inflammatoire systémique, la sévérité des lésions organiques dépendant à la fois de l’intensité et de la durée de l’hyperthermie.
La chaleur produite en excès par l’organisme perturbe profondément la physiologie cellulaire. Dès 40 °C, les protéines commencent à se dénaturer, ce qui altère notamment le fonctionnement des enzymes. Les cellules réagissent à cette agression thermique en produisant des protéines de choc thermique (heat shock proteins), connues pour leur rôle protecteur contre la chaleur, l’hypoxie (manque
d’oxygène) et l’ischémie (défaut de vascularisation). Toutefois, en cas de coup de chaleur sévère, ces mécanismes de défense sont rapidement dépassés, conduisant à une destruction cellulaire dans plusieurs organes.
Le système nerveux central est particulièrement vulnérable : la chaleur peut entraîner la dénaturation des protéines neuronales ainsi que la survenue de processus d’excitotoxicité causant l’altération et la mort des neurones.
L’appareil gastro-intestinal est également affecté. Pour favoriser la dissipation de la chaleur vers l’extérieur, le sang est détourné de l’intestin vers la peau, provoquant une ischémie intestinale. Cette diminution du flux sanguin accroît la perméabilité de la muqueuse intestinale, qui ne joue plus pleinement son rôle de barrière. Les jonctions entre cellules intestinales deviennent perméables, permettant le passage de bactéries dans la circulation sanguine, avec libération de produits bactériens : lipopolysaccharides (LPS) composant de la membrane de certaines bactéries). Ce phénomène contribue à l’amplification de la
réponse inflammatoire.
Par ailleurs, chez les patients victimes de coup de chaleur d’exercice, des concentrations élevées de cytokines, telles que le TNF-alpha et l’interleukine-6 (Il-6), ont été détectées, participant activement à la réponse inflammatoire systémique.
Enfin, les cellules endothéliales, qui tapissent les vaisseaux sanguins, sont elles aussi lésées, ce qui peut provoquer une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Cette complication se manifeste par la formation de micro-caillots sanguins dans la circulation, obstruant les petits vaisseaux. Des cas d’infarctus du myocarde ont également été rapportés.
Coups de chaleur avec une température centrale dépassant les 43 °C
Tous les militaires victimes d’un coup de chaleur d’exercice n’ont pas eu la chance du jeune soldat américain dont j’ai relaté l’histoire en début de ce billet.
En 1994, des chercheurs israéliens ont rapporté le décès de trois soldats âgés de 19 ans, survenus lors d’exercices physiques intenses en plein été dans le désert.
Au cours d’une ascension difficile, l’un d’eux trébuche et présente rapidement des troubles neurologiques : son élocution devient incohérente, il est désorienté. Cinq heures après le début de l’effort, à midi, il s’effondre et ne réagit plus aux stimuli douloureux. Il vomit, devient incontinent et son rythme respiratoire ralentit de façon anormale.
Un infirmier militaire venu lui porter secours (perfusion intraveineuse et refroidissement externe) s’effondre également, avec un rythme cardiaque à 200 battements par minute. Ses camarades tentent de l’intuber, mais la contraction sévère de sa mâchoire (trismus) les en empêche.
Environ deux heures et demie après leur effondrement, les deux militaires sont évacués par hélicoptère vers un centre médical d’urgence proche, où leur décès est constaté à leur arrivée. La température rectale mesurée était de 45 °C chez le
soldat et 44 °C chez le secouriste.
Le troisième cas concerne un soldat qui s’est effondré lors d’une marche en plein après-midi par forte chaleur. Ses camarades lui desserrent les vêtements et lui versent de l’eau froide. Il est évacué en ambulance, où un médecin lui administre
une perfusion intraveineuse et un médicament pour stopper les convulsions. Sa température rectale est alors de 43 °C. Transféré dans un centre médical proche, il décède 45 minutes plus tard malgré une prise en charge médicale continue.
Ces drames illustrent la gravité extrême du coup de chaleur d’exercice, en particulier lorsque la température ambiante et l’humidité sont élevées, rendant la transpiration inefficace et empêchant la dissipation de la chaleur corporelle.
Survie après un coup de chaleur avec température centrale de 46,5 °C
On recense dans la littérature médicale plusieurs cas où le coup de chaleur, cette fois non lié à un effort physique, a entraîné un pic de température centrale dépassant 43 °C. Tous n’ont pas conduit au décès. Il est donc possible de survivre avec un bon pronostic neurologique dans de tels cas.
Un homme de 23 ans a survécu à une hyperthermie sévère (45 °C), compliquée de rhabdomyolyse, survenue après avoir ingéré environ 1 gramme de méthamphétamine puis avoir couru pour tenter d’échapper à la police. Une course-poursuite s’est engagée. Il a finalement été arrêté alors qu’il courait sur le toit d’un immeuble et tentait de sauter sur un autre. Refroidi activement (glace, couverture rafraîchissante), sa température a chuté à 36,4 °C en quelques heures. Resté comateux pendant 26 h, il a quitté l’hôpital sans séquelles au 5ᵉ jour. La température corporelle centrale enregistrée chez ce patient est la plus élevée jamais rapportée dans un cas d’overdose confirmée en laboratoire liée à cette catégorie de drogues (sympathicomimétiques).
Pour conclure, signalons un cas véritablement exceptionnel. En 1982, des médecins américains (Atlanta, Géorgie) ont rapporté le cas d’un homme de 52 ans admis dans un coma profond après un coup de chaleur, avec une température corporelle initialement supérieure à 42 °C. Intubé, réhydraté et refroidi activement (lavage gastrique à l’eau glacée et application de glace), sa température rectale a atteint 46,5 °C, ce qui représente la température centrale la plus élevée jamais enregistrée chez un humain sans séquelles permanentes. Malgré une défaillance multiviscérale dans les jours suivants, des soins intensifs ont permis un rétablissement complet, avec un retour à l’état de santé antérieur et une sortie de l’hôpital au 24ᵉ jour.
Ce cas illustre clairement l’efficacité d’un traitement agressif et rapide dans les formes extrêmes d’hyperthermie, soulignant en premier lieu l’importance d’un
refroidissement immédiat.
Pour en savoir plus :
DeGroot DW, Litchfield AC, Blodgett CA, et al. Chain of survival for a severe exertional heat stroke casualty. J Appl Physiol. 2025 Mar 1 ;138(3) :699-705. doi : 10.1152/japplphysiol.01006.2024
Dollée N, Alsma J, Goedhart R, et al. Exertional Heat Stroke : Are We Cool Enough ? Retrospective Observational Study of Patients of Running Events. J Emerg Med. 2025 Apr ;71 :44-53. doi : 10.1016/j.jemermed.2024.11.002
Sekiguchi Y, Hosokawa Y, Dadzie E, et al. Change in interleukin (IL)-6, 8, and 10 and its association with an increase in core temperature following a 7-mile running race in the warm weather. Res Sports Med. 2025 Jan- Feb ;33(1) :107-116. doi : 10.1080/15438627.2024.2428602
Stearns RL, Kucera KL, Hosokawa Y, et al. Fatal Exertional Heat Stroke Trends in Secondary School Sports From 1982 Through 2022. Sports Health. 2024 Dec 11 :19417381241298293. doi : 10.1177/19417381241298293
Tishukaj F, Stearns RL, Morrissey MC, et al. Exertional Heat Stroke Best Practices in U.S. Emergency Medical Services Guidelines. J Emerg Med. 2024 Oct ;67(4) :e327-e337. doi : 10.1016/j.jemermed.2024.04.005
Corcostegui SP, Robert J, Brami E, et al. Le coup de chaleur d’exercice. Ann Fr Med Urg. 2024 Sep-Oct ;14(5) :320-328. doi : 10.1684/afmu.2024.0603
Chaffard C, Delignette MC, Guichon C, Blet A. Coup de chaleur d’exercice, il y a urgence à refroidir. Anesth Reanim. 2024 Jul ;10(4) :388-398. doi : 10.1016/j.anrea.2024.06.002
Wood F, Roiz-de-Sa D, Pynn H, Smith JE, et al. Outcomes of UK military personnel treated with ice cold water immersion for exertional heat stroke. BMJ Mil Health. 2024 May 22 ;170(3) :216-222. doi : 10.1136/military-2022-002133
Garcia CK, Renteria LI, Leite-Santos G, et al. Exertional heat stroke : pathophysiology and risk factors. BMJ Med. 2022 Oct 11 ;1(1) :e000239. doi : 10.1136/bmjmed-2022-000239
Bouchama A, Abuyassin B, Lehe C, et al. Classic and exertional heatstroke. Nat Rev Dis Primers. 2022 Feb 3 ;8(1) :8. doi : 10.1038/s41572-021-00334-6
Varone F, Binder W. A Case of Heat Stroke in the Era of Climate Change. R I Med J (2013). 2021 Nov 1 ;104(9) :63-66
Bursey MM, Galer M, Oh RC, Weathers BK. Successful Management of Severe Exertional Heat Stroke with Endovascular Cooling After Failure of Standard Cooling Measures. J Emerg Med. 2019 Aug ;57(2) :e53-e56. doi : 10.1016/j.jemermed.2019.03.025
Epstein Y, Yanovich R. Heatstroke. N Engl J Med. 2019 Jun 20 ;380(25) :2449-2459. doi : 10.1056/NEJMra1810762
Ramirez O, Malyshev Y, Sahni S. It’s Getting Hot in Here : A Rare Case of Heat Stroke in a Young Male. Cureus. 2018 Dec 12 ;10(12) :e3724. doi : 10.7759/cureus.3724
Demartini JK, Casa DJ, Stearns R, et al. Effectiveness of cold water immersion in the treatment of exertional heat stroke at the Falmouth Road Race. Med Sci Sports Exerc. 2015 Feb ;47(2) :240-5. doi :
10.1249/MSS.0000000000000409.
Sagui E, Abriat A, Duron S, et al. Coup de chaleur d’exercice : clinique et diagnostic. Medécine et Armées. 2012 Jun ;40(3) :201-205.
Suchard JR. Recovery from Severe Hyperthermia (45 degrees C) and Rhabdomyolysis Induced by Methamphetamine Body-Stuffing. West J Emerg Med. 2007 Aug ;8(3) :93-5.
Heled Y, Rav-Acha M, Shani Y, et al. The « Golden Hour » for Heatstroke Treatment. Mil Med. 2004 Mar ;169(3) :184-6. doi : 10.7205/milmed.169.3.184
Bourdon L, Canini F, Aubert M, et al. Le coup de chaleur d’exercice : I – aspects cliniques et prévention. Science & Sports. 2003:18(5):228–240. doi : 10.1016/S0765-1597(03)00145-X
Rav-Acha M, Hadad E, Epstein Y, et al. Fatal exertional heat stroke : a case series. Am J Med Sci. 2004 Aug ;328(2) :84-7. doi :10.1097/00000441-200408000-00003
Bourdon L, Canini F, Saïssy JM, et al. Le coup de chaleur d’exercice : II – Physiopathologie. Science & Sports. 2003 Oct ;18(5) :241-252. doi : 10.1016/S0765-1597(03)00146-1
Hiss J, Kahana T, Kugel C, Epstein Y. Fatal classic and exertional heat stroke–report of four cases. Med Sci Law. 1994 Oct ;34(4) :339-43. doi : 10.1177/002580249403400414
Slovis CM, Anderson GF, Casolaro A. Survival in a heat stroke victim with a core temperature in excess of 46.5 C. Ann Emerg Med. 1982 May ;11(5) :269-71. doi : 10.1016/s0196-0644(82)80099-1