Pour la plupart d’entre nous, lorsqu’on parle de luxation, on pense à celle de la rotule (déboîtement du genou), de la hanche (lorsque la tête sphérique du fémur sort du cotyle, la cavité osseuse de l’os du bassin), de l’épaule (déboîtement de la tête de l’humérus hors de l’omoplate), éventuellement du cristallin (déplacement de cette lentille de sa position normale à l’intérieur de l’œil), mais reconnaissez qu’elle ne vous évoque pas forcément celle qui concerne… le testicule. La luxation testiculaire existe bel et bien : elle traduit le déplacement anormal du testicule en dehors de la bourse (scrotum). Elle peut être unilatérale ou bilatérale, selon qu’un ou deux testicules se trouvent expulsés de leur emplacement naturel sous l’effet du traumatisme.
C’est l’histoire d’un Australien de 29 ans, victime d’un accident de moto. Il a subi un traumatisme fermé de la partie basse de l’abdomen et du bassin. Admis aux urgences d’un hôpital, il est alerte et se plaint d’une douleur de la région génitale. L’examen clinique montre qu’il présente une luxation du testicule droit. Celui-ci a été expulsé de sa position normale et se trouve à l’extérieur, plus précisément à hauteur de la base du gland.
Vous avez bien lu ! Ce cas clinique a été rapporté en janvier 2025 par des chirurgiens urologues dans la revue Urology Case Reports.
Sous la violence du choc, le testicule droit est donc carrément sorti de la bourse, est remonté sous la peau de la face ventrale de la verge qu’il a perforé à sa partie supérieure. Il s’est retrouvé, à l’air libre, juste sous la couronne du gland, mais toujours relié au scrotum par le cordon spermatique.
Le testicule gauche est, lui, bien en place. Ce jeune homme, polytraumatisé, présente une fracture de la 7e côte, un traumatisme de la rate (hématome), une fracture de l’avant-bras gauche (radius) et du fémur gauche. Il est rapidement conduit au bloc opératoire. Les chirurgiens urologues ont remis le testicule luxé dans la bourse droite. La plaie pénienne ouverte a été suturée sur plusieurs plans, à savoir au niveau de la peau et du dartos, la membrane composée de fibres musculaires lisses qui constitue la structure externe du scrotum.
Un testicule extériorisé sous la violence du choc
Chez ce patient, le testicule droit s’est donc retrouvé en position extérorisée suite à une plaie ouverte cutanée de la verge, située juste sous le gland. L’intérêt de ce cas clinique tient au fait qu’il est exceptionnel qu’une luxation testiculaire aboutisse à ce qu’un testicule luxé s’extériorise sous la violence du choc. En effet, lors d’une luxation testiculaire, le testicule est généralement projeté dans la région inguinale (aine) ou abdominale en passant par le canal inguinal.
Pour comprendre, il faut savoir que le canal inguinal, situé dans l’aine, est une zone anatomique étroite qui relie l’abdomen aux organes génitaux externes. Chez l’homme, il permet la descente des testicules de l’abdomen vers le scrotum et sert de passage au cordon spermatique. Ce canal est constitué de deux orifices : un orifice profond qui communique avec la cavité abdominale et un orifice superficiel qui communique avec les bourses chez l’homme. Lors d’une luxation testiculaire, le testicule luxé passe le plus souvent à travers l’orifice superficiel du canal inguinal.
Il peut arriver que le testicule luxé remonte le long du pénis. Un tel cas a été décrit en 2024 dans le Journal of International Medical Research par des urologues chinois chez un jeune homme de 20 ans victime d’un accident de moto. Le testicule luxé apparaissait sous la forme d’une grosseur (2,5 x 3 x 4 cm) sous la peau de la verge, du côté droit. Lors de la collision, le scrotum était venu percuter violemment le réservoir de la moto, expulsant le testicule droit hors de sa bourse.
Les accidents de moto sont impliqués dans la plupart des luxations testiculaires
Les luxations testiculaires traumatiques sont rares. On ne compte qu’environ 200 cas dans la littérature médicale. Le premier cas rapporté remonte à 1818. Il relatait une luxation testiculaire bilatérale consécutive à une violente compression de la partie inférieure de la paroi abdominale par une roue de charrette. De nos jours, les accidents de moto sont impliqués dans la plupart (80 %) des cas de luxations testiculaires.
Le mécanisme lésionnel d’une luxation testiculaire est très souvent un choc direct et appuyé sur les bourses, le bassin ou le périnée. Le réservoir de la moto est souvent incriminé. Lors du traumatisme, la contraction simultanée des fins muscles crémastériens (qui accompagnent le cordon spermatique dans le canal inguinal et forment une tunique musculeuse entourant le scrotum) pourrait contribuer au mécanisme conduisant à la luxation en rétractant les testicules du sac scrotal.
Luxation profonde ou superficielle
Le testicule, expulsé du sac scrotal mais toujours relié au cordon spermatique, se retrouve le plus souvent expulsé en position inguinale superficielle (dans environ 50 % des cas). Plus rarement, il peut être dans le canal inguinal (8 %), en position pubienne (18 %), pénienne (8 %), intra-abdominale (6 %), périnéale (4 %) ou crurale (en haut de la cuisse, 2 %).
On parle de luxation testiculaire profonde, ou interne, lorsque le testicule passe à travers l’anneau superficiel du canal inguinal et se retrouve dans le canal inguinal ou dans la cavité abdominale. La luxation est dite superficielle dans les autres cas, le testicule expulsé cheminant sous la peau. Le testicule luxé se situe alors dans une zone circulaire dont le rayon est déterminé par la longueur du cordon spermatique.
En 2013, des chirurgiens urologues et orthopédiques du CHU de Grenoble ont rapporté un cas exceptionnel de la luxation testiculaire associée à une fracture de l’anneau pelvien (branche ilio-pubienne et ischio-pubienne), à savoir une fracture complexe des os du bassin. Lors de l’intervention chirurgicale, les chirurgiens ont constaté que le testicule droit se trouvait dans le canal inguino-scrotal (reliant l’aine au scrotum) et que le gauche était dans le bassin, directement sous le muscle droit de l’abdomen qui forme la paroi antérieure de la paroi abdominale.
Dans environ un tiers de cas, la luxation testiculaire est bilatérale
Dans 30 % à 36 % des cas, la luxation testiculaire est bilatérale. Dans de rares cas, une torsion du cordon spermatique est associée à la luxation.
Certaines anomalies peuvent être prédisposantes : testicule atrophique, orifice superficiel inguinal trop large, hernie inguinale indirecte pré-existante (quand celle-ci se forme à travers l’orifice inguinal profond). Chez les patients porteurs de telles anomalies, le traumatisme direct sur les testicules pourrait les expulser vers le canal inguinal ou la cavité abdominale.
L’examen physique du patient est crucial
L’examen physique du patient est essentiel pour le diagnostic de luxation testiculaire. Il arrive que le diagnostic ne soit pas établi chez un patient polytraumatisé, souffrant de lésions sévères et multiples (fractures du bassin et des os longs, hémorragie intra-abdominale). On comprend dès lors qu’il convient que l’équipe médicale examine systématiquement les organes génitaux externes des hommes ayant subi un traumatisme du bassin ou du périnée, sachant qu’une bourse vide est évidemment un signe qui doit alerter le médecin.
L’échographie peut être utile pour établir le diagnostic et s’assurer de la position du testicule luxé. L’échographie Doppler permet d’examiner le flux sanguin et d’apprécier la viabilité du testicule luxé. Le scanner abdomino-pelvien peut aider dans certains cas difficiles, en particulier lorsque le testicule se retrouve dans la cavité abdominale ou en cas de traumatisme associé du bassin.
Importance d’un traitement rapide
Le traitement d’une luxation testiculaire consiste en une réduction manuelle (sous anesthésie et administration d’un relaxant musculaire) lorsque la luxation est immédiatement découverte après le traumatisme. Elle peut cependant augmenter le risque de torsion du testicule. Elle n’est efficace que dans environ 15 % des cas. En cas d’échec, une exploration chirurgicale doit être réalisée. C’est la procédure la plus souvent pratiquée, souvent d’emblée, avec un taux de succès approchant les 100 %.
Durant l’opération chirurgicale, l’état des vaisseaux sanguins et du cordon spermatique est examiné. Le chirurgien remet le testicule en place et réalise une fixation (orchidopexie). Cette réduction chirurgicale consiste à enfermer le testicule dans une sorte de poche munie d’un collet étroit. Les adhésions entre la gonade et ce sac empêchent tout mouvement ou torsion du testicule.
Ce type d’intervention élimine le risque de pratiquer un geste chirurgical avec sutures qui risquerait d’endommager la barrière hémato-testiculaire, qui sépare les cellules germinales en développement de la circulation sanguine. En effet, une brèche de cette barrière comporte un risque d’infertilité du fait de l’apparition d’une réaction auto-immune avec production d’anticorps anti-spermatozoïdes.
Tout retard à une exploration chirurgicale comporte le risque de passer à côté d’une lésion du cordon spermatique ou du testicule, ou encore d’une torsion testiculaireassociée, ce qui expose à une non-viabilité du testicule luxé ou à une possible infertilité. Il a été montré que la spermatogenèse (processus de formation des spermatozoïdes) était altérée chez un patient opéré quatre mois après une luxation testiculaire traumatique passée inaperçue. La reprise de la spermatogenèse, attestée par l’analyse du sperme et des dosages hormonaux, a été décrite par plusieurs équipes après réduction chirurgicale et fixation du testicule.
Pour en savoir plus :
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