C’est l’histoire d’un patient adulte, dont l’âge n’est pas précisé, qui a reçu en décembre 2024 une greffe de rein gauche dans un hôpital de l’Ohio. Le donneur résidait dans l’Idaho. Environ cinq semaines plus tard, le receveur a présenté des tremblements, une faiblesse des membres inférieurs, une confusion mentale et une incontinence urinaire.
Sept jours après l’apparition des symptômes, il est hospitalisé pour une fièvre, une hydrophobie (peur de l’eau) et une dysphagie (difficulté à avaler).
Deux jours après son admission (J2), son état respiratoire nécessite une ventilation mécanique invasive. À J4, les médecins contactent le département de santé publique de l’Ohio et les Centres de contrôle et de prévention des maladies à Atlanta (CDC, Géorgie), car le tableau clinique oriente fortement vers une rage. Nous sommes alors le 27 janvier 2025.
Des prélèvements de salive, de sérum sanguin, de liquide céphalorachidien et des échantillons de biopsie de la peau de la nuque, réalisés entre J3 et J6 d’hospitalisation, sont envoyés aux CDC pour rechercher la présence du virus rabique.
Le patient, receveur de la greffe rénale, décède à J7 de son hospitalisation, soit 51 jours après la transplantation. Des prélèvements post-mortem sont également adressés aux CDC. L’hydrophobie est un signe classique, quoique non constant, de la rage : lorsque le patient essaie de boire, des spasmes douloureux des muscles laryngés et pharyngés se produisent.
Le questionnaire d’évaluation du risque du donneur (DRAI, Donor Risk Assessment Interview), renseigné avant la greffe, indiquait que le donneur avait été griffé par une mouffette. Or divers mammifères, comme les chauves-souris, les ratons laveurs, les mouffettes (skunk), les renards, les chiens et les chats, peuvent transmettre la rage à l’homme.
L’ARN du virus rabique est détecté dans la salive, la biopsie cutanée et le tissu cérébral. La présence d’anticorps spécifiques de ce virus dans le sérum sanguin confirme une infection active. L’analyse génétique du virus correspond à une souche typique du virus de la rage de la chauve-souris argentée (Lasionycteris noctivagans). La famille du receveur ne rapporte aucune exposition animale susceptible d’expliquer l’infection, ce qui renforce l’hypothèse d’une transmission via la greffe elle-même.
À partir de là, l’enquête conduite par le département de santé publique de l’Idaho, le district local de santé publique et les CDC s’est concentrée sur le donneur de l’Idaho comme source possible de l’infection rabique.
Celui-ci réside dans une zone rurale. Il a été hospitalisé début décembre 2024 après un épisode de confusion, d’hallucinations, avec raideur de la nuque, troubles de la déglutition et de la marche. Deux jours après, il est retrouvé inconscient, victime d’un possible arrêt cardiaque. Réanimé, il est hospitalisé mais n’a jamais repris conscience. Il est déclaré en état de mort cérébrale au cinquième jour d’hospitalisation. Le lendemain, les cornées, les deux reins, le cœur, les poumons sont prélevés, les cornées devant donner lieu à quatre greffons.
Ce n’est qu’après la mort du patient receveur qu’un détail décisif refait surface lors de l’interrogatoire de membres de la famille du donneur.
Une information décisive émerge lors de l’interrogatoire de la famille du donneur
La famille livre aux enquêteurs un détail crucial ne figurant pas sur le questionnaire standardisé. Il s’avère que fin octobre 2024, dans une dépendance de sa propriété rurale, une mouffette s’est approchée du donneur alors que celui-ci tenait un chaton dans ses bras. Il a alors affronté l’animal dans une altercation violente, au cours de laquelle la mouffette a été mise hors de combat. Le donneur a été griffé jusqu’au sang au niveau du tibia, sans penser avoir été mordu. Selon sa famille, il a attribué l’agression comme un comportement prédateur dirigé contre le chaton. Cinq semaines plus tard, il décède de ce que l’on pense alors être un arrêt cardiaque.
Les analyses réalisées par les CDC sur des biopsies rénales montrent finalement la présence d’ARN rabique correspondant à la même souche que celle identifiée chez le receveur. Une biopsie du rein droit du donneur contient ce même variant lié à la chauve-souris argentée. Le rein gauche, transplanté chez le patient, n’a pas pu être analysé faute de tissu suffisant. La concordance virologique établit néanmoins clairement que la greffe d’organe est à l’origine de la transmission du virus de la rage.
L’enquête s’étend alors aux autres tissus prélevés. Trois greffons cornéens avaient déjà été transplantés, en Californie, dans l’Idaho et au Nouveau-Mexique, tandis qu’une quatrième greffe prévue dans le Missouri a été annulée à temps. Les trois receveurs concernés ont subi une ablation du greffon et reçu une prophylaxie post-exposition (PPE) comprenant immunoglobulines et quatre doses de vaccin. L’un des greffons explantés contenait de l’ARN viral, mais aucun des trois patients n’a développé de symptômes.
Les investigations se sont également concentrées sur l’identification de toutes les personnes potentiellement exposées, que ce soit à la mouffette, au receveur contaminé ou au donneur pendant sa période infectieuse, définie comme les 14 jours précédant l’apparition des symptômes jusqu’au décès.
Les autorités sanitaires ont alors mené une importante opération de recherche de cas contacts. Il ressort qu’aucun autre animal n’avait été exposé à la mouffette et qu’aucune autre personne n’avait été directement en contact avec elle. Quatre personnes contacts ont été identifiées autour du donneur et invitées à recevoir une prophylaxie post-exposition (PPE), de même que 17 soignants sur 80.
Concernant les personnes exposées au receveur de la greffe rénale, 14 contacts communautaires ont été identifiés, dont 6 ont reçu une recommandation de PPE. Parmi les 269 professionnels de santé potentiellement exposés, 16 ont aussi été jugés éligibles à cette mesure. Au total, 46 personnes sur 357 (soit 13 %) ont bénéficié d’une prophylaxie post-exposition.
Le traçage des contacts, le retrait des greffons et l’administration d’une prophylaxie post‑exposition (PPE) ont permis de réduire le risque de transmission de la rage chez les receveurs de cornée. Les évaluations du risque ont conduit à recommander une PPE pour 46 des 357 personnes exposées, soit 13 %.
L’ensemble des éléments accumulés a finalement permis de proposer une chaîne de transmission en trois temps : une chauve-souris infectée a contaminé une mouffette, laquelle a transmis le virus au donneur par sa griffure, avant que l’un des reins prélevés ne transmette le virus de la rage du donneur au receveur. Bien que les mouffettes ne soient pas porteuses naturelles du virus de la rage dans l’Idaho, certaines variantes du virus circulent chez les chauves-souris, notamment chez la chauve-souris argentée, espèce présente à l’état endémique dans la faune locale.
Cette reconstitution a permis de protéger les autres receveurs d’organes ou de tissus grâce à l’ablation précoce des greffons oculaires. La proximité des nerfs cornéens et optiques avec le système nerveux central fait en effet craindre un raccourcissement de la période d’incubation. Dans ce type de situation, le retrait préventif de la greffe cornéenne constitue donc une mesure supplémentaire pour limiter le risque de transmission. Par ailleurs, l’administration de la prophylaxie post-exposition (PPE) avant l’apparition des symptômes, selon les rares données cliniques disponibles, peut prévenir la survenue de la rage chez des receveurs de greffe provenant de donneurs infectés.
Comme le rappellent Rebecca Earnest et ses collègues des CDC, qui rapportent ce cas dans le MMWR (Morbidity and Mortality Weekly Report) daté du 4 décembre 2025, le virus de la rage peut être transmis par contact direct avec la salive, les larmes ou des tissus innervés provenant d’humains ou d’animaux infectés, via une lésion de la peau ou des muqueuses.
Cette observation clinique représente le quatrième événement documenté de rage transmise lors d’une transplantation aux États-Unis depuis 1978. Parmi les treize receveurs impliqués dans ces quatre épisodes, sept qui n’avaient pas reçu de prophylaxie post‑exposition sont décédés, alors que les six qui en avaient bénéficié ont tous survécu. Les tissus et organes greffés incluent les cornées, les reins, le foie, le cœur, les poumons, le pancréas et l’artère iliaque. Les cas rapportés dans la littérature proviennent notamment des États-Unis, de la France, de la Thaïlande, de l’Inde, de l’Iran, de l’Allemagne, de la Chine et du Koweït.
Le premier cas de rage liée à une transplantation de tissus a été rapporté en 1978, à la suite d’une greffe de cornée réalisée aux États-Unis, marquant le début de la reconnaissance de ce mode extrêmement rare de transmission interhumaine.
Dans le monde, deux échecs de prophylaxie post-exposition (PPE) ont été rapportés parmi 21 receveurs d’organes ou de tissus. Dans un cas, survenu en Inde, le receveur d’une greffe de cornée avait reçu seulement deux injections de vaccin environ quatre semaines après la transplantation, mais avait refusé les quatre restantes parce que sa greffe lui donnait satisfaction. Sept mois et demi plus tard, il a développé des difficultés à avaler, accompagnées de douleur, rougeur et gonflement de l’œil opéré. Deux jours plus tard, une hydrophobie s’est installée et le diagnostic de rage a été posé. Le patient est décédé cinq jours plus tard. L’autre cas concerne un patient chinois, receveur d’une greffe rénale. Dans cette seconde situation, la raison de cet échec de la PPE demeure incertaine.
Les auteurs de l’article publié dans le MMWR tirent un message clair du cas de rage survenu chez le donneur de l’Idaho : si un donneur potentiel, en particulier lorsqu’il présente une encéphalopathie aiguë, a été mordu ou griffé par un mammifère susceptible de transmettre la rage dans l’année précédente, les équipes de transplantation devraient solliciter l’avis des autorités de santé publique pour évaluer le risque rabique.
Ce cas, rarissime et dramatique, met aussi en lumière la vulnérabilité de la chaîne de transplantation lorsqu’un donneur présente un antécédent zoonotique non rapporté ou insuffisamment exploré. Pour les médecins transplanteurs, il représente un appel à la vigilance clinique et épidémiologique afin d’éviter qu’un tel scénario ne se reproduise.
En France, un cas de transmission interhumaine de la rage a été rapporté en 1979 après une transplantation cornéenne. Un enseignant, maître-assistant de 36 ans à la faculté des sciences de Nancy, avait reçu une cornée prélevée chez une Égyptienne résidant en France et décédée d’une encéphalite à Paris après un retour d’Égypte. Durant son séjour dans ce pays, elle avait acheté un jeune chien rapidement tombé malade, élément qui n’avait pas été identifié comme un signal d’alerte au moment du prélèvement. Le receveur avait développé des symptômes de la rage et était décédé 41 jours après la greffe.
En 2005, des épidémiologistes des CDC ont rapporté dans le New England Journal of Medicine un épisode de transmission de la rage après transplantation de deux reins, d’un foie et d’un segment artériel provenant d’un même donneur décédé d’hémorragie cérébrale. L’enquête a montré que ce donneur avait été mordu par une chauve-souris. Les quatre receveurs ont développé, dans les 30 jours suivant la greffe, une encéphalite avec détérioration neurologique rapide, entraînant un décès en moyenne 13 jours après l’apparition des symptômes.
En 2013, des épidémiologistes des CDC ont rapporté dans le JAMA un cas de rage chez un receveur de greffe rénale. L’enquête a été déclenchée suite au décès de ce patient 18 mois après la greffe. Les reins, le cœur et le foie du donneur avaient été transplantés à quatre receveurs. Les trois autres receveurs (rein droit, cœur et foie) n’ont pas présenté de symptômes de la rage. Tous ont reçu une prophylaxie post-exposition comprenant des immunoglobulines antirabiques et cinq doses de vaccin antirabique et sont restés asymptomatiques, démontrant l’efficacité potentielle de la PPE lorsqu’elle est administrée à temps.
Lors de l’enquête épidémiologique, des entretiens menés avec la famille ont révélé que le donneur avait eu des contacts fréquents avec la faune sauvage, notamment en chassant et en piégeant des animaux en Caroline du Nord. Ses activités spécifiques avec les ratons laveurs comprenaient leur piégeage et leur détention en captivité, leur utilisation comme appâts vivants pour l’entraînement de chiens, ainsi que la préparation de leurs peaux destinées à l’exposition. Au cours de ces activités, le donneur avait subi au moins deux morsures de ratons laveurs, survenues respectivement 18 et 7 mois avant l’apparition des symptômes. Il n’avait jamais consulté de médecin.
Pour en savoir plus :
Earnest R, Carter KK, Margrey SF, et al. Human-to-Human Rabies Transmission via Solid Organ Transplantation from a Donor with Undiagnosed Rabies – United States, October 2024-February 2025. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2025 Dec 4 ; 74 (39) : 600-605. doi : 10.15585/mmwr.mm7439a1
Phadke VK. Clinical approach to donor-derived infection in solid organ transplant recipients. Transpl Infect Dis. 2024 Nov ; 26 Suppl 1 : e14344. doi : 10.1111/tid.14344.
Velasco-Villa A. On skunk rabies and its prevention in North America. Equine Vet Educ. 2023 ; 35 (11) : 589-593. doi : 10.1111/eve.13843
Riccardi N, Giacomelli A, Antonello RM, et al. Rabies in Europe : An epidemiological and clinical update. Eur J Intern Med. 2021 Jun ; 88 : 15-20. doi : 10.1016/j.ejim.2021.04.010
Lu XX, Zhu WY, Wu GZ. Rabies virus transmission via solid organs or tissue allotransplantation. Infect Dis Poverty. 2018 Aug 15 ; 7 (1) : 82. doi : 10.1186/s40249-018-0467-7
Zhang J, Lin J, Tian Y, et al. Transmission of rabies through solid organ transplantation : a notable problem in China. BMC Infect Dis. 2018 Jun 14 ; 18 (1) : 273. doi : 10.1186/s12879-018-3112-y
Saeed B, Al-Mousawi M. Rabies Acquired Through Kidney Transplantation in a Child : A Case Report. Exp Clin Transplant. 2017 Jun ; 15 (3) : 355-357. doi : 10.6002/ect.2017.0046
Kaul DR. Donor-derived infections with central nervous system pathogens after solid organ transplantation. JAMA. 2013 Jul 24 ; 310 (4) : 378-9. doi : 10.1001/jama.2013.7989
Vora NM, Basavaraju SV, Feldman KA, et al ; Transplant-Associated Rabies Virus Transmission Investigation Team. Raccoon rabies virus variant transmission through solid organ transplantation. JAMA. 2013 Jul 24 ; 310 (4) : 398-407. doi : 10.1001/jama.2013.7986
Srinivasan A, Burton EC, Kuehnert MJ, et al ; Rabies in Transplant Recipients Investigation Team. Transmission of rabies virus from an organ donor to four transplant recipients. N Engl J Med. 2005 Mar 17 ; 352 (11) : 1103-11. doi : 10.1056/NEJMoa043018
Fekadu M, Endeshaw T, Alemu W, et al. Possible human-to-human transmission of rabies in Ethiopia. Ethiop Med J. 1996 Apr ; 34 (2) : 123-7. PMID : 8840614
Gode GR, Bhide NK. Two rabies deaths after corneal grafts from one donor. Lancet. 1988 Oct 1 ; 2 (8614) : 791. doi : 10.1016/s0140-6736 (88) 92435-x
Anderson LJ, Williams LP Jr, Layde JB, et am. Nosocomial rabies : investigation of contacts of human rabies cases associated with a corneal transplant. Am J Public Health. 1984 Apr ; 74 (4) : 370-2. doi : 10.2105/ajph.74.4.370
Houff SA, Burton RC, Wilson RW, et al. Human-to-human transmission of rabies virus by corneal transplant. N Engl J Med. 1979 ; 300 : 603 – 4.











