Qui n’a pas rêvé de profiter d’un sixième sens ? Un don unique qui permettrait de voir dans le noir ou dans l’ultraviolet, d’entendre ultrasons ou infrasons, de s’écholocaliser comme une chauve-souris ou un dauphin. Ou quelque chose d’encore plus improbable, que ni vous ni moi ne pourrions imaginer… C’est un peu ce qu’une équipe américaine vient de découvrir chez le gecko tokay. Dans un article publié le 4 octobre dans la revue Current Biology, Catherine Carr et Dawei Han, de l’université du Maryland, viennent d’apporter la démonstration que ce reptile pouvait « entendre » des vibrations non sonores grâce à des vésicules de l’oreille interne : les saccules.
Ces petites cavités ne nous sont pas inconnues. Logées dans l’oreille interne, elles participent à assurer notre équilibre. A nous, mais aussi à tous les autres animaux terrestres. Chez les poissons et quelques espèces d’amphibiens, en revanche, ces mêmes saccules permettent aux intéressés de percevoir les sons qui circulent à travers l’eau ou la terre. Se pouvait-il qu’il en soit de même d’autres groupes, comme les reptiles ?
Pour répondre à cette question, les deux chercheurs américains ont jeté leur dévolu sur les geckos. Et pas n’importe lesquels : les tokays. Comme tous leurs cousins, ils se caractérisent par leur mode de vie nocturne et par les coussinets adhésifs qui tapissent leurs pattes et leur permettent de grimper sur toute surface verticale, y compris une vitre. Mais, outre leur taille respectable (20 centimètres sans la queue) et un caractère quelque peu agressif, les tokays sont réputés pour leur chant. Autrement dit, et contrairement à nombre d’autres reptiles, ils entendent. Des sons, bien sûr, provoqués par la pression de l’air sur leurs oreilles. Mais aussi des vibrations à très basse fréquence se propageant dans la terre.
Double expérience
Pour en apporter la preuve, les chercheurs ont réalisé deux expériences. Dans la première, ils ont installé le tokay sur une plateforme, qu’ils ont fait vibrer, et placé des électrodes dans la boîte crânienne de l’animal. Ils ont ainsi pu constater l’activation des neurones d’une zone de la partie postérieure du cerveau nommée « noyau vestibulaire ovale ». Cette relation directe, ils en ont eu la confirmation en injectant dans les nerfs partant du saccule un colorant et en suivant sa progression par l’imagerie. Lors de cette seconde expérience, le colorant s’est répandu vers le noyau vestibulaire, puis il a poursuivi sa route vers le cortex auditif, logé dans la partie supérieure du tronc cérébral. « Une très belle démonstration, très rigoureuse, salue Anthony Herrel, chercheur CNRS au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et spécialiste des reptiles. Elle nous invite à repenser notre regard sur les reptiles, sur la façon dont ils perçoivent le monde. »
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