L’histoire retiendra que la première motion de censure déposée contre le gouvernement de Michel Barnier l’a été par la gauche. Sans attendre la présentation du projet de budget pour 2025, marqué du sceau de la rigueur, les élus du Nouveau Front populaire (NFP) ont choisi de manifester, mardi 8 octobre, une défiance de principe à l’égard du premier ministre choisi par Emmanuel Macron pour conduire le gouvernement du pays après des semaines de tergiversations dans des conditions politiques particulièrement acrobatiques.
L’argument de principe invoqué par le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, qui parlait au nom de toute la gauche, est justifié : il ne fallait pas laisser passer par pertes et profits ce sentiment de tromperie et d’écœurement que ressentent à juste titre nombre d’électeurs de ce bloc.
Qu’un représentant du NFP, cette coalition qui s’était fortement mobilisée pour faire barrage au Rassemblement national et qui était arrivée en tête du second tour des élections législatives, n’ait pas été sollicité en premier par Emmanuel Macron pour tenter de former un gouvernement et de trouver une majorité constitue une faute démocratique qui renforce la défiance politique à un moment où le pays traverse une période particulièrement troublée. Les termes « hold-up électoral » ou « illibéralisme » utilisés par Olivier Faure ont désagréablement sonné aux oreilles du premier ministre, mais ils étaient faits pour purger l’autre « détournement démocratique », qui a consisté à installer à Matignon un représentant des Républicains alors que ce parti, ultra-minoritaire, n’avait pas cru bon devoir participer au front républicain.
L’autre but de la motion de censure, de nature plus politicienne, était de tenter d’installer la gauche dans la position d’unique opposant au gouvernement de Michel Barnier à un moment où le Rassemblement national apparaît plus qu’hésitant sur sa stratégie. Le parti de Marine Le Pen se dit à la fois disposé à faire tomber le gouvernement à tout moment, mais pas prêt à le faire tout de suite, au point d’être désormais présenté par la gauche comme l’incontournable béquille du gouvernement Barnier.
Stratégie à affiner
Le résultat du vote a été à la fois conforme aux prévisions et peu conclusif. En ne recueillant que 197 suffrages, dont quatre voix prises chez les élus du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires et une chez les non-inscrits, la gauche a démontré tout à la fois sa capacité à faire bloc et son incapacité à s’élargir suffisamment pour prétendre gouverner. Les partis qui constituent la très fragile majorité de Michel Barnier se sont tous coalisés contre son initiative, la renvoyant aux réalités du paysage parlementaire actuel : tant qu’ils restent unis, les macronistes et Les Républicains forment aujourd’hui la coalition la plus importante au sein de l’Assemblée nationale. Seul le vote d’une même motion de censure par la gauche et le Rassemblement national est susceptible de faire chuter le gouvernement.
Dans cette configuration politique inédite, la stratégie du NFP reste à affiner. Autant La France insoumise, qui a multiplié les attaques contre une « coalition de perdants » jugée « illégitime » et porteuse « du pire plan d’austérité des quarante dernières années », s’installe dans une position radicale, autant le Parti socialiste ne réfute pas la recherche de « majorités d’idées » susceptibles de faire aboutir des « lois de progrès ». A un moment où tout se négocie, rester à l’écart des tractations comporte en effet le risque de n’empocher aucune victoire sur trois sujets sur lesquels la gauche est particulièrement attendue : la justice fiscale, le pouvoir d’achat et la défense des services publics.