Véronique Philipponnat, directrice du magazine « ELLE » : « Le mouvement du droit des femmes ne peut pas s’arrêter »

Transmission, Trump, sexisme… à l’occasion des 80 ans du magazine « ELLE » et du lancement de la nouvelle promotion Expertes à la Une, nous nous sommes entretenus avec sa directrice.

Véronique Philipponnat évoque les évolutions du droit des femmes en France.

En collaboration avec Louie Media, le magazine lance « Faut que je te dise », un podcast d’information féministe traduit en neuf langues.

En 1945, la Seconde Guerre mondiale s’achève. Le Conseil français de la Résistance accorde dans la foulée le droit de vote aux femmes. Hélène Lazareff, journaliste française, revient de son exil à New-York. Inspirée par plusieurs magazines américains de mode, elle cofonde ELLE. Objectif, parler des femmes à travers tout ce qui les concerne : leur rapport aux autres, au travail, à la vie quotidienne, à la mode ou aux loisirs.

Cette année, le magazine fête son quatre-vingtième anniversaire. Véronique Philipponnat retrace pour nous les enjeux portés par son média pendant cette période et nous parle du présent avec la création du Podcast « Faut que je te dise », traduit en neuf langues avec le concours de l’intelligence artificielle.

En 80 ans, quelles sont les trois principales avancées à retenir pour le droit des femmes en France ?

La loi sur l’interruption volontaire de grossesse portée par la ministre de la Santé de l’époque Simone Veil et votée en 1975. La promulgation de l’index de l’égalité homme femme dans les entreprises et dans les comex (2018) et #MeToo. Ce mouvement a mis au premier plan l’importance du consentement, redéfini le viol et les agressions sexuelles, etc. Les mouvements de société doivent s’accompagner de lois pour ancrer des avancées dans la société. Emmanuel Macron a fait des violences faites aux femmes une grande cause de son quinquennat, il ne l’aurait sans doute pas fait sans #MeToo. Avant de faire basculer la société dans une réelle égalité salariale ou intime, il faut du temps. Il reste des milieux hyper sexistes (la tech, le cinéma, etc.).

L’avortement reste un sujet brûlant

Véronique Philipponnat

L’élection de Donald Trump aux États-Unis et la montée des extrêmes droites en Europe risquent-elles de fragiliser le droit des femmes ?

Quand on est une femme on sait qu’on va devoir se battre et prouver plus qu’un homme. Nous devons rester combatives et vigilantes. Je crois au progrès, le mouvement du droit des femmes ne peut pas s’arrêter. Mais c’est vrai qu’on vit un backlash et il faut plus que jamais être vigilantes. Entendre Mark Zuckerberg affirmer que le monde de l’entreprise manque d’énergie masculine, c’est choquant, comme s’il n’y avait pas assez de testostérone et comme si c’était un gage de succès. Je trouve ça rassurant que la France ait inscrit l’avortement dans sa Constitution. Ça reste un sujet brûlant.

Quel est le rôle du magazine ELLE ?

Le procès des viols de Mazan, la situation préoccupante des femmes en Afghanistan ou en Iran, le procès Le Scouarnec et l’affaire Bétharram trouvent un fort écho auprès de nos lectrices. Nous nous rendons compte que les faits mettent très longtemps à sortir, mais la perception de notre société évolue. À la rédaction de ELLE, nous essayons de rester optimistes et nous cherchons à rendre service aux femmes en parlant de leur quotidien, leur vie professionnelle, la psychologie, les rapports dans le couple ou avec les enfants. Nous défendons un féminisme universaliste, mais tous les féminismes sont les bienvenus. Les féministes plus radicales nous font avancer sur d’autres points : à prendre conscience collectivement par exemple que c’est encore plus difficile pour les femmes racisées. Le rôle de ELLE c’est aussi de rester un phare et une boussole dans cet océan d’information. Nous éclairons les femmes dans leurs choix.

La transmission, c’est l’ADN de Elle

Véronique Philipponnat

Vous lancez un podcast, « Faut que je te dise », destiné aux jeunes femmes. Que voulez-vous leur dire ?

La transmission, c’est l’ADN de ELLE. C’est essentiel pour nous de tisser un lien entre notre rédaction et nos lectrices et maintenant auditrices, avec ce podcast co-produit avec Louie Media. Nous croyons à la connexion intergénérationnelle, notamment entre mère et fille. Nous nous adressons aux jeunes femmes pour les informer sur leurs droits, leur santé et leurs libertés. Nous parlons de leur corps à des filles qui n’osent pas toujours en parler à leur famille ou au planning familial. Notre objectif : répondre en huit minutes à des questions concrètes et pertinentes.

Vous traduisez vos épisodes en neuf langues. Pour quelles raisons et comment faites-vous ?

Nous voulons toucher les publics de toutes origines sociales ou ethniques, y compris les jeunes femmes qui ne parlent pas français. La journaliste Marine Revol écrit et enregistre son épisode en français. Des traducteurs s’occupent de la transposer en anglais, espagnol, allemand ou arabe et une IA clone sa voix. Des journalistes fact-checkent l’ensemble avant publication et indiquent aux auditrices que la voix clonée vient de la journaliste française. Nous espérons susciter des échanges générationnels dans les familles. Les jeunes entretiennent des rapports différents de leur mère au féminisme. Certains concepts que ma génération a acceptés ne passent pas auprès de celle de mes propres filles.

Prenons-nous vraiment conscience des inégalités femme-homme ?

Tout passe par l’éducation. Je constate des progrès. La promotion Expertes à la Une*, avec de nombreux domaines représentés, devient hyper importante pour nous aider à faire comprendre les mécanismes et changer les choses. Notez que tout le monde parle enfin de la journée des droits des femmes et non des femmes. Ça fait 80 ans avec le magazine ELLE que l’on se bat pour l’égalité, c’est fondamental pour nous de nous associer à un média aussi généraliste que TF1 pour porter nos combats.

*Le Groupe TF1 lance mercredi 5 mars, avec le soutien de Elle, la 5e promotion d’Expertes à la Une, le programme pour renforcer la représentativité des femmes expertes dans les rendez-vous d’information. Pendant toute une année, les 15 expertes de la nouvelle promotion, qui a pour marraine d’honneur l’éditorialiste, réalisatrice et directrice de Franc-Tireur, Caroline Fourest, auront l’opportunité de bénéficier d’un programme de tutorat sous le parrainage/marrainage de journalistes, rédacteurs en chef et présentateurs des rédactions de TF1 et LCI.