Livre. L’écologie semble être éclipsée par le retour de la guerre, et le combat contre le réchauffement climatique ne paraît plus aussi impérieux à l’heure du nouveau désordre géopolitique. Et pourtant, toutes ces questions sont étroitement liées, assure le philosophe Pierre Charbonnier, chargé de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po. Son nouveau livre, Vers l’écologie de guerre (La Découverte, 324 pages, 23 euros), se structure autour d’une « hypothèse peut-être provocatrice », reconnaît-il, mais qui invite à penser la nouvelle donne écologique et géopolitique : « La seule chose la plus dangereuse que la guerre pour la nature et le climat, c’est la paix. »
Après la seconde guerre mondiale, les anciens belligérants européens ont pacifié leur relation en scellant un « pacte fossile », principalement autour du charbon, du gaz et du pétrole. Une « solidarité de production », disait Robert Schuman (1886-1963), l’un des architectes de l’Union européenne, à savoir une mise en commun – mais aussi en concurrence – des ressources énergétiques. Ce pacte contribua à une stabilité géopolitique indéniable mais aussi à la croissance économique et sociale des « trente glorieuses », qui réactivaient les vertus du « doux commerce » censé, pour des esprits libéraux du XVIIIe siècle comme Montesquieu, favoriser les affaires plutôt que la guerre.
Mais « cette paix fossile n’est ni durable ni soutenable », analyse Pierre Charbonnier, car les modes de production sont devenus des instruments de destruction. Ces énergies contribuent en effet dangereusement au réchauffement climatique. « La paix civile entre Etats a été obtenue au prix d’une guerre invisible et totale contre les territoires », ajoutait le sociologue Bruno Latour, qui fut le mentor de Pierre Charbonnier. Bien sûr, des guerres ont été menées par les Occidentaux dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment dans le golfe Persique, mais « faire la guerre pour le pétrole, c’était, pensait-on, garantir la paix future ».
En 2022, le déclenchement du conflit russo-ukrainien fut un tournant historique. « La naïveté stratégique de l’Union européenne devant sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie doit rester dans les mémoires », relève-t-il. En effet, constate Pierre Charbonnier, « pour Poutine, le doux commerce énergétique n’était qu’un moyen de pression sur l’Europe, un outil de construction de son impuissance géopolitique ». Les grandes puissances venaient de prendre conscience, à partir de 2020, que leur sécurité ne résidait plus dans la sécurisation des infrastructures fossiles mais dans un changement de modèle énergétique.
Il vous reste 50.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.