Les Druzes, minorité religieuse du Proche-Orient au centre des affrontements qui ont éclaté, dimanche 13 juillet, dans le sud de la Syrie, forment une communauté singulière par ses croyances, sa répartition géographique et ses allégeances politiques. Les affrontements entre miliciens de cette communauté issue de l’islam chiite et des tribus sunnites ont débuté après l’enlèvement d’un marchand de légumes dans la province de Souweïda, où les forces gouvernementales sont intervenues pour rétablir l’ordre. Accusé d’exactions et sous la pression militaire d’Israël, qui dit vouloir assurer la protection des Druzes, l’armée syrienne s’est retirée, jeudi, laissant aux milices locales la responsabilité du maintien de l’ordre.
Où vivent les Druzes ?
Longtemps persécutés, les Druzes, qui sont environ un million au Proche-Orient, se sont établis dans les massifs montagneux de Syrie, du Liban, du nord d’Israël et sur le plateau syrien du Golan, occupé par l’Etat hébreu depuis 1967.
En Syrie, pays composé d’une mosaïque religieuse complexe, ils représentaient 3 % de la population, soit 700 000 personnes, avant la guerre civile qui a éclaté en 2011. Ils ont commencé à s’établir au XVIe siècle dans le djebel (de l’arabe jabal qui signifie « montagne ») auquel ils ont donné leur nom, situé dans la province de Souweïda, dont le chef-lieu fait figure de bastion de la communauté. Ils sont également présents dans la province voisine de Kuneitra et dans la banlieue de Damas, notamment à Jaramana et Sahnaya, qui ont été le théâtre au printemps de violences confessionnelles.
Au Liban, 200 000 Druzes vivent principalement dans le Chouf, massif du centre du pays, où ils côtoient notamment les chrétiens maronites. En Israël, 153 000 d’entre eux sont établis principalement en Galilée, dans le Nord, où ils ont été naturalisés. Soumis à la conscription, contrairement aux Arabes israéliens, ils sont nombreux au sein de l’armée et de la police, rares vecteurs d’ascension sociale, où leur maîtrise de l’arabe, langue de toute la communauté, est appréciée. Sur le plateau syrien du Golan, occupé depuis 1967 par l’Etat hébreu et annexé en 1981, plus de 22 000 ont un statut de résident permanent. Seuls 1 600 ont accepté de prendre la nationalité israélienne, les autres restant attachés à leur identité syrienne.
Qu’est-ce que le druzisme ?
Ciment de cette communauté religieuse plutôt qu’ethnique, leur culte issu de l’ismaélisme, branche ésotérique de l’islam chiite, est apparu en Egypte au début du XIe siècle. Il emprunte aussi bien à l’hindouisme qu’au judaïsme, au christianisme ou encore à la philosophie grecque antique, explique Marc Lavergne, directeur de recherches émérite au CNRS. « Il s’agit d’une religion dite “hermétique”, dirigée par une minorité d’initiés, dont les adeptes ne savent pour la plupart pas trop en quoi elle consiste », poursuit-il, traçant un parallèle avec la franc-maçonnerie. Ces particularismes la distinguent très clairement de l’islam sunnite, au point que certains considèrent les Druzes comme des hérétiques.
Comme tous les chiites, ils croient à un imam caché, dont ils attendent le retour. La taqiya, principe issu du chiisme qui consiste à dissimuler ou à nier sa foi afin d’éviter les persécutions, les incite à se comporter comme leurs interlocuteurs lorsque ceux-ci sont adeptes d’autres croyances. La monogamie est de rigueur et le divorce interdit, tout comme la conversion. « On ne peut donc pas devenir druze, mais on ne peut y renoncer non plus, ce qui en fait une société assez fermée, mais ses membres vivent souvent dans des villages mixtes avec des catholiques maronites, en particulier au Liban, poursuit le chercheur. Ce sont également des guerriers, qui, sans chercher d’histoires, veulent vivre entre eux, avec leur propre mode de vie, et dont le vécu historique les rend méfiants. »
En Syrie, « ils se sont installés sur des terres où les Bédouins nomadisaient et, depuis le XVIIe siècle, il y a toujours eu des conflits entre les deux communautés, mais cette fois, ils ont repris dans un contexte qui va très au-delà de leurs rivalités », ajoute l’anthropologue Isabelle Rivoal, directrice de recherches au CNRS, évoquant à la fois la guerre civile et les nombreux bouleversements de ces derniers mois dans la région.
Quel est leur positionnement géopolitique ?
Les dignitaires druzes ont été parmi les précurseurs du nationalisme proche-oriental depuis l’empire ottoman. A la tête d’une insurrection menée de 1925 à 1927, le leader druze Sultan Pacha Al-Atrache, a été l’un des artisans de l’indépendance de la Syrie, obtenue en 1946, au terme du mandat français. Au Liban, Kamal Joumblatt, autre grande figure de la communauté, a joué un rôle-clé dans la politique nationale à partir des années 1950 et jusqu’à son assassinat, en 1977, commandité par les autorités syriennes pendant la guerre civile.
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Depuis le renversement de Bachar Al-Assad, en décembre 2024, Israël multiplie les gestes d’ouverture envers les Druzes de Syrie, ce qui est diversement apprécié au sein de la communauté. Walid Joumblatt, qui a pris la relève de son père à la tête de la branche libanaise de la communauté, a exhorté les dignitaires druzes à rejeter « l’ingérence israélienne ».
Ces dignitaires ont, quant à eux, réaffirmé leur attachement à l’unité de Syrie, mais certains ont demandé une protection internationale après les violences du printemps. Le gouvernement israélien, qui reste extrêmement méfiant à l’égard des nouveaux maîtres de Damas, issus d’un djihadisme qu’ils disent avoir renié, les avait alors menacés s’ils osaient « porter atteinte aux Druzes ». L’armée israélienne est donc à nouveau passée à l’acte cette semaine en bombardant notamment le ministère de la défense et le siège de l’état-major, à Damas.
Pourquoi Israël les défend-il ?
« Nous agissons pour empêcher le régime syrien de leur nuire et pour garantir la démilitarisation de la zone adjacente à notre frontière », affirment le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son ministre de la défense, Israel Katz, évoquant les Druzes de Syrie dans un communiqué commun diffusé mardi.
Dès le renversement de Bachar Al-Assad, l’armée israélienne a investi la zone démilitarisée qui séparait le Golan occupé du reste du territoire syrien et multiplie depuis les raids aériens en profondeur. « Les Israéliens (…) vont essayer de garder le plus possible de positions sur le terrain. Ils veulent aussi peser sur la population syrienne en créant une sorte de protectorat sur la communauté druze et exiger qu’aucune armée syrienne ne puisse dépasser une certaine ligne au sud du pays », disait Bernard Haykel, professeur au département des études moyen-orientales de l’université américaine de Princeton, dans un entretien accordé au Monde au début du mois.
Après l’éclatement des dernières violences, beaucoup de chefs druzes du Golan souhaitaient le lancement d’une opération terrestre d’ampleur contre les nouvelles autorités syriennes et, pour faire pression sur l’Etat hébreu, certains membres de la communauté menaçaient de refuser de se porter volontaires pour accomplir leur service militaire. Ceux qui n’ont pas encore obtenu la nationalité israélienne sont par ailleurs perçus comme des électeurs en puissance du Likoud, le parti au pouvoir, qui se montre attentif à leurs demandes.
« Un dicton druze dit que la communauté est comme un plateau. Quand on frappe quelque part, tout le reste vibre. Chaque fois qu’il se passe des choses en Syrie, les populations druzes de Galilée et du Golan réagissent », souligne Isabelle Rivoal. « Même si c’est une petite minorité qu’ils tiennent à distinguer des Arabes, les Israéliens, qui ont leur propre agenda consistant à repousser la frontière le plus loin possible, ont toujours intérêt à contenter les Druzes à travers ce qui se passe en Syrie », ajoute-elle.