L’affaire Bétharram met en lumière la difficulté de lever le voile sur certaines violences à l’égard des enfants.
Si le recueil de leur parole est facilité aujourd’hui, les parents peuvent parfois se sentir désarmés face au mal-être de leur enfant, qui peut peiner à se confier.
Comment installer une relation de confiance et se montrer à l’écoute ? Plusieurs spécialistes nous livrent leurs conseils.
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Violences et abus sexuels au collège-lycée de Bétharram
Un récit pour lever enfin la lourde chape du Silence de Bétharram. Le porte-parole des victimes de l’institution, Alain Esquerre, a publié ce jeudi 24 avril un livre détaillant les sévices subis par plus de 200 victimes (nouvelle fenêtre), des humiliations aux violences physiques et sexuelles. Certains se sont tus pendant des décennies entières, à l’instar de la fille du Premier ministre François Bayrou, Hélène Perlant, qui a révélé avoir été rouée de coups lors d’un camp d’été, affirmant que son père l’ignorait (nouvelle fenêtre).
Si elle a évoqué elle-même un « déni collectif » des parents en général sur le « système » de l’établissement des Pyrénées-Atlantiques, beaucoup de voix ont aussi pointé le rôle du cadre social de cette période, au cours de laquelle les violences dans le domaine éducatif (nouvelle fenêtre) choquaient bien moins. « C’était une autre époque, on n’est plus dans le même monde », insiste Viviane Kovess-Masféty, psychiatre et épidémiologiste.
Mais si la parole des victimes est mieux recueillie et entendue aujourd’hui, il n’est pas toujours évident pour des parents de réussir à sonder un mal-être chez un enfant qui aurait subi des violences hors de la maison, notamment à l’école. Car les mécanismes de sidération à l’œuvre dans le traumatisme sont les mêmes, laissant souvent l’enfant pétrifié et incapable d’en parler. Et rongé par une culpabilité qui n’a pourtant pas à être la sienne. Face à ces situations délicates, les spécialistes interrogés soulignent bien qu’aucune « méthode magique » n’existe, mais certaines clés peuvent toutefois s’avérer précieuses.
Créer un climat de confiance
Le meilleur moyen de s’assurer que son enfant sera en mesure de s’exprimer s’il traverse une telle épreuve commence dès le plus jeune âge, en établissant une relation de confiance avec lui. Et en dégageant du temps pour discuter, quitte à ritualiser un peu les choses. « À table par exemple, on mange tous ensemble, sans être interrompu par les portables, et on prend un temps d’échange, pour parler des choses qui se sont passées pendant la journée, mais aussi de ce qui nous préoccupe, sans restriction », illustre Aziz Essadek, maître de conférence en psychologie à l’Université de Lorraine. Des temps très importants « mais pas suffisants, car certaines choses se disent difficilement en collectif ».
Le spécialiste relève aussi que les enfants peuvent facilement ressentir l’anxiété vécue par les parents dans leur quotidien à eux, et ne pas oser évoquer avec eux leurs propres épreuves, par peur de rajouter une charge supplémentaire. « Quand on est parents, on gère comme on peut, mais il est important de dire aux enfants qu’on est là pour écouter quand ils en ont besoin », insiste-t-il.
Au-delà de se montrer disponible, il est aussi important de chercher à échanger en profondeur avec les enfants (nouvelle fenêtre). « Il ne faut pas parler uniquement des résultats scolaires, mais de l’ambiance de classe, de la relation avec les autres camarades… Ne pas rester en surface », résume la pédopsychiatre Nicole Catheline, spécialisée dans la psychopathologie de la scolarité. Et rester en veille face à tout changement de comportement, sans pour autant se montrer trop intrusif. « Il faut trouver un juste milieu : ne pas poser des questions sans arrêt, mais être attentif, et savoir s’adapter », souligne Viviane Kovess Masféty.
Mettre en garde pour protéger, avec les mots justes
C’est ce même équilibre qu’il faut essayer de trouver dans les mises en garde que l’on peut faire à son enfant avant une activité hors du cadre familial, comme les camps ou les colonies de vacances. « Les enfants doivent apprendre que certaines choses ne se font pas, ne sont pas normales. C’est une balance : il faut les laisser aller vers l’extérieur, ne pas leur faire peur de tout, mais avoir un assez bon contact pour qu’ils puissent dire si quelque chose ne va pas », explique Viviane Kovess-Masféty.
Certains recommandent ainsi d’expliquer en amont aux enfants les limites que les adultes ne doivent pas franchir, même s’ils représentent des figures d’autorité (nouvelle fenêtre), comme des professeurs ou des surveillants. « Dans la vie, on ne s’humilie pas entre adultes, donc il n’y a pas de raison de le faire avec des enfants. Il faut parler du phénomène d’emprise, employer ce mot », souligne Nicole Catheline.
À cela s’ajoute aussi la question spécifique des violences sexuelles, un enjeu bien sûr délicat à aborder avec les enfants (nouvelle fenêtre) : les mots à choisir ne sont pas les mêmes en fonction de l’âge. Le programme québecois « Mon corps c’est mon corps » propose par exemple d’évoquer la question du consentement dès les premières années, mais en mettant l’accent sur l’aspect social et non sexuel : « Par exemple, dire non lorsque quelqu’un nous fait mal quand il nous brosse les cheveux, et que cette parole soit entendue » », explique Aziz Essadek. Avant d’éveiller peu à peu à des questions autour de l’intime, vers 6 ou 7 ans. Nicole Catheline plaide quant à elle pour expliquer simplement aux enfants, dès l’âge de 8 ans environ, « qu’il y a des gens qui ne savent pas rester à leur place d’adultes », et que cela ne doit pas être accepté.
Recueillir la parole en déculpabilisant
Et rappeler que la victime n’est jamais responsable, de sorte à s’assurer que l’enfant pourra bénéficier d’un « environnement sécurisant » s’il souhaite s’exprimer. « Quand on est victime, on est victime. La question ne se pose pas », insiste Aziz Essadek, qui appelle aussi à ne plus associer prise de parole et délation, sur le mode « arrête de rapporter ».
Des réflexes précieux, sachant que les enfants victimes ressentent souvent de la culpabilité, craignant même parfois de « décevoir » leurs parents s’ils s’expriment. Les spécialistes appellent ainsi à se montrer disponible sur le temps long, et ne pas reprocher à l’enfant de se confier sur une violence subie il y a longtemps. L’objectif est de le rassurer en continu : « tu n’es pas seul, cela arrive à d’autres enfants, on ne t’en veut pas… », égrène Nicole Catheline.
Trouver des appuis autour de soi
Dans ce travail délicat, le reste du cercle familial peut être un vrai recours, notamment les frères et sœurs, si leurs relations avec l’enfant sont bonnes et complices. Ou même les grands-parents, en particulier la grand-mère : « elle peut jouer le rôle de lanceur d’alerte grâce à son recul, en repérant des choses que les parents, très occupés, n’ont pas nécessairement relevées (nouvelle fenêtre)« , appuie Viviane Kovess-Masféty, auteur d’un livre sur le sujet, Être grand-mère aujourd’hui (éditions Odile Jacob).
Les spécialistes évoquent aussi le recours à des supports pédagogiques pour initier un dialogue, des bandes dessinés, des livres et vidéos… Enfin, consulter un psychologue peut offrir des ressources précieuses pour accompagner au mieux l’enfant, même sur un temps court. Un appui de taille pour les parents également : « Parce qu’il n’y a pas de mode d’emploi pour être parent, rappelle Aziz Essadek. Il peut être utile de s’appuyer sur une personne qui nous aide à prendre de la distance par rapport à ce qu’on rencontre au quotidien, quelle que soit la situation. »