L’un des grands dossiers judiciaires traitant des violences dans le porno amateur peine à avancer. Récemment, l’ex-propriétaire du site pornographique Jacquie et Michel, Michel Piron, a même vu sa mise en examen passer au statut de témoin assisté. Il avait été mis en examen en juin 2022 pour traite d’être humain et complicité de viol, et placé sous contrôle judiciaire.
Un juge d’instruction lui a récemment octroyé le statut plus favorable de témoin assisté, comme l’avait révélé le site l’Informé, sans préciser les motivations du magistrat. Ce changement de statut s’est déroulé en deux temps, selon des éléments dont l’Agence France-Presse (AFP) a pris connaissance, jeudi 17 avril.
D’abord, en mai 2024, sur le volet de traite d’être humain en bande organisée. M. Piron était soupçonné d’avoir, entre juillet 2012 et décembre 2013, recruté une femme pour la contraindre à un tournage, par l’intermédiaire d’un rabatteur. La plaignante avait expliqué aux enquêteurs avoir eu une relation amoureuse avec un homme, qui l’avait fortement incitée à tourner avec lui une vidéo pornographique.
Sur le tournage dans une chambre d’hôtel, elle n’avait pu que constater l’absence de cet amant, selon une source proche du dossier, et avait raconté avoir tourné deux scènes, sous la direction de M. Piron. Le magistrat a estimé que les investigations n’avaient pas permis « d’affermir ni de corroborer le soupçon » de la plaignante d’avoir été « piégée », selon une source judiciaire. Le juge a donc octroyé le statut de témoin assisté à M. Piron.
« Absence de charges »
Deuxième étape, en novembre 2024, concernant les poursuites pour complicité de viol. « Cette “démise en examen” est parfaitement justifiée depuis que l’instruction a mis en lumière l’absence de charges ainsi que les mensonges des plaignantes », a déclaré l’avocat de M. Piron, Me Yves Levano, contacté par l’AFP. Sollicitée, l’avocate de la plaignante, Me Camille Martini, n’a pas souhaité commenter, invoquant le secret de l’instruction.
Dans une expertise psychologique réalisée sur sa cliente, en mars 2024, la spécialiste évoque un état de sidération. « Convaincue de rejoindre » son amant, « elle suit les hommes venus la chercher à la gare », note l’expertise dont l’AFP a eu connaissance. La femme se retrouve dans une « escalade d’engagement » : elle est tiraillée « entre le fait d’avoir pris une décision engageante » en acceptant d’aller à Paris pour tourner un film avec son amant, et « le fait d’apprendre que la décision peut s’avérer désastreuse ».
Sur le chemin pour aller à l’hôtel, il lui est plusieurs fois demandé de relever sa jupe. Cette « technique de manipulation » consiste à « demander un comportement peu coûteux », dit « préparatoire », « pour obtenir par la suite un comportement plus coûteux », analyse l’experte.
Un niveau de « sidération massive »
Dans la chambre, le « contexte majore sa vulnérabilité » : « isolée, dans un lieu inconnu, avec des hommes inconnus ». Au sujet des pénétrations, la psychologue « observe la perte progressive de réactions corporelles » chez la plaignante. Quand cette dernière exprime sa douleur lors d’une pénétration anale, l’acteur lui répond : « C’est moi qui décide. »
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Là, la plaignante « manifeste un niveau de sidération massive » : « ramollissement du tonus musculaire », « regards inexpressifs »… « Les sons produits » sont « ceux de douleurs », mais pas des « signaux de plaisir », assure-t-elle.
Le magistrat a tenu compte de cette expertise, mais il a aussi estimé que le visionnage « ne permettait pas de discerner de signes évidents d’absence de consentement ». Le caméraman, auditionné, a lui assuré que la plaignante était « plutôt à l’aise ». L’acteur en question n’a pas encore été entendu par la justice, d’après une source proche du dossier.
Les investigations avaient été lancées en juillet 2020, après un signalement d’associations relayant des témoignages d’au moins six actrices dénonçant des « pratiques sexuelles hors norme et douloureuses » réalisées sans leur consentement. Outre M. Piron, un ancien acteur et deux anciens réalisateurs ont été mis en examen pour viols, complicité de viol, proxénétisme en bande organisée et traite d’être humain en bande organisée. L’épouse de M. Piron est témoin assistée.