Après le suicide de Yanis, adolescent de 17 ans qui s’est donné la mort le 30 mars, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a demandé que les victimes soient « systématiquement et obligatoirement » informées de la mise en liberté de leur agresseur, qui peut réactiver le traumatisme, vendredi 18 avril. L’adolescent avait laissé un courrier qui mettait en avant « la remise en liberté » d’un voisin qui l’avait agressé sexuellement à partir de ses 12 ans.
Déjà condamné pour des faits similaires, l’homme avait été condamné en octobre 2023 à une peine de cinq ans de prison ferme pour l’agression de Yanis, puis a été remis en liberté début février, selon plusieurs médias.
Le père de Yanis, Farid, a appris sa remise en liberté par une connaissance. « J’ai décidé d’en parler le jour même à mon fils, car je ne voulais pas qu’il tombe par hasard sur son agresseur qui n’habite qu’à trois kilomètres de chez nous », a-t-il expliqué au Parisien. En « colère » contre la justice, le père demande « une loi qui évitera que des enfants victimes de pédophiles se suicident parce que leurs familles n’ont pas été tenues au courant de la sortie de prison » des agresseurs.
« Croiser son agresseur réactive son trauma »
Chargée de conseiller le gouvernement sur la lutte contre la pédocriminalité, la Ciivise relève que, « même si de nombreux magistrats informent les victimes de la libération de leur agresseur, ce n’est pas une obligation. C’est à la victime ou à son avocat d’en faire la demande lors de l’audience ».
« Le ressenti de la victime n’est pas pris en compte. Quand l’agresseur a purgé sa peine, la victime, elle, continue de vivre à vie avec les effets de son traumatisme », explique Solène Podevin, membre du collège directeur de la Ciivise, à l’Agence France-Presse (AFP).
« Croiser son agresseur réactive son trauma, lui fait revivre l’agression, la façon dont l’entourage a réagi, le procès. La peur, la colère, l’impuissance, la fragilité, tout remonte à la surface. Elle doit se préparer, avant de le rencontrer par hasard », poursuit-elle, ajoutant que « 50 % des victimes d’inceste font une tentative de suicide ».
« Le fait de savoir s’il est libéré de prison permet d’anticiper. Une de mes clientes victimes d’agression sexuelle a pris l’initiative de déménager », souligne Me Anne Bouillon, avocate spécialiste des violences faites aux femmes. La Ciivise voudrait que les victimes de violences sexuelles soient à cet égard traitées comme les victimes de violences conjugales.
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« Depuis 2021, il est obligatoire d’informer la victime d’une infraction commise au sein du couple (harcèlement, violence…) de la sortie de prison de la personne condamnée ou même d’une permission de sortie », fait savoir le ministère de la justice à l’AFP. C’est une pratique récente, mise en place à la suite de féminicides commis par des hommes sortant de prison, selon la Chancellerie.
La Ciivise préconise des soins de psychotrauma gratuits
Le féminicide de Chahinez Daoud en mai 2021 avait suscité ainsi un grand émoi. Son compagnon, Mounir Boutaa, condamné en juin 2020 à dix-huit mois de prison, dont neuf ferme, pour violences en récidive, avait été remis en liberté en décembre sans qu’elle n’en soit informée.
Ce nouveau dispositif pour les cas de violences conjugales « est assez effectif, et mes clientes sont informées », précise Me Bouillon.
Mais, pour les délits et les crimes sexuels, les victimes ne sont prévenues que si elles – ou leur avocat – en ont fait la demande lors de la procédure pénale. Et elles ne sont informées que d’une libération en fin de peine, pas d’un aménagement de peine ou d’une permission de sortie, précise la Chancellerie.
Pour aider les victimes, la Ciivise préconise des soins de psychotrauma gratuits. « Elles doivent pouvoir être protégées et accompagnées toute leur vie, notamment quand le trauma est réactivé », souligne Mme Podevin.