La rue d’Aboukir, artère emblématique du 2e arrondissement de Paris, voisine de la rue Montorgueil, porte en elle des histoires lointaines. La plus évidente, celle dont elle a hérité le nom au début du XIXe siècle, se rapporte à la campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte. En 1799, les Français remportent une bataille sur les Ottomans à Aboukir, non loin d’Alexandrie. Pour célébrer ce fait militaire, on renomme ainsi l’ancienne rue Bourbon-Villeneuve. Naissent tout autour les rues d’Alexandrie, du Nil, de Damiette et la place du Caire, devenue indissociable de la rue d’Aboukir en avalant son trottoir. Le quartier entier prend alors le surnom de « Petite Egypte ». C’est la naissance de l’égyptomanie parisienne et de son puissant imaginaire teinté d’exotisme fantasmé et de mythe impérial.

A travers le feuillage doré des beaux savonniers de la place du Caire, le regard tombe sur la façade latérale de l’Hôtel du Sentier, d’où surgissent trois visages sculptés de la déesse égyptienne Hathor, divinité de l’amour aux oreilles de vache. Datant de 1828, ces sculptures et leurs frises en hiéroglyphes, presque kitsch, illustrent une architecture appelée « retour d’Egypte ». Le tortueux passage du Caire, plus longue et plus ancienne traverse couverte de Paris, construite en 1798, devait, lui, évoquer un bazar d’Orient.

Amoureux du quartier, Samuel Castro, médecin urgentiste, a emmené toute sa famille vivre rue d’Aboukir. « Mon grand-père Albert était tailleur et avait une boutique dans le périmètre. J’étais heureux de revenir ici », raconte-t-il. Avec son épouse, Charlotte, c’est lui qui a ouvert en 2021 l’Hôtel du Sentier et son restaurant, dont la terrasse anime la place du Caire en été.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le quartier du Sentier devient hétéroclite, populaire et dense : s’y côtoient petits commerçants, artisans, journalistes, prostituées et immigrés venus du monde entier. Après-guerre, la population d’Aboukir ne se confond plus qu’au sein d’une seule et même histoire commerciale, celle de la confection textile qui rythme la vie de la rue. Au rez-de-chaussée, les boutiques de grossistes de prêt-à-porter pullulent et les ateliers de fabrication turbinent dans les étages.

« Le lundi, tout le quartier était en ébullition car c’était le jour où les grossistes de province venaient faire leurs achats. Il y avait des bouchons, ça klaxonnait dans tous les sens, les gens passaient avec des portants remplis de vêtements », se souvient Lou Borestein, dont les parents, juifs ashkénazes, possédaient un atelier de confection en étage dès 1973. Sa mère dessinait d’élégantes robes du soir et drapait ses tissus sur des bustes Stockman.

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