« L’Ami de la famille. Souvenirs de Pierre Bourdieu », de Denis Podalydès, Julliard, « Camera obscura », 256 p., 21 €, numérique 15 €.
En 1983, Denis Podalydès fait la connaissance d’Emmanuel Bourdieu, fils cadet de Pierre (1930-2002), au lycée Henri-IV, à Paris. Se noue alors une amitié solide, qui a permis au futur comédien de s’inscrire dans la constellation humaine du célèbre intellectuel. En témoigne le beau livre qu’il publie sous le titre L’Ami de la famille. Souvenirs de Pierre Bourdieu. Le comédien, metteur en scène et écrivain n’y propose pas seulement un portrait plein de tact, d’empathie et de pédagogie – tant et si bien que son livre constitue aussi une introduction vivace à l’œuvre du sociologue. Il raconte également comment ce compagnonnage avec l’auteur de La Misère du monde (Seuil, 1993) lui a permis de traverser ses propres failles, de trouver une place dans son petit théâtre intérieur.
Vous aviez la vingtaine à l’époque de vos « années Bourdieu ». Pourtant, ce récit se lit comme des souvenirs d’enfance. Comment l’expliquer ?
J’ai sans doute une perception presque enfantine de cette époque lointaine, si je mesure l’écart entre ce temps-là, les années 1980, et aujourd’hui, avec l’impression d’un tout autre monde. Mais c’est aussi qu’en élaborant ces souvenirs, pour répondre à la proposition de Caroline Broué pour sa collection « Camera obscura » chez Julliard, en rédigeant les pages consacrées à la première rencontre avec Pierre Bourdieu, dont ne me revenait rien de solide ou d’édifiant, la couleur de mes premiers textes transformait, moi et les enfants Bourdieu, en de très jeunes gens – et j’ai même confondu l’âge qu’avait Laurent, le plus jeune des frères, avec celui de mon propre frère cadet, qui s’appelle aussi Laurent, et qui avait alors 8 ans. Laurent Bourdieu était en réalité déjà un jeune adolescent.
J’ai décrit ces premiers contacts avec la famille Bourdieu comme des scènes de paradis perdu. J’ai tâché ensuite d’atténuer cet effet d’enfance en accordant moins d’importance à mes souvenirs et davantage aux œuvres elles-mêmes, et à ce qu’elles opéraient en moi, mais il est resté de cette impression une trace que je n’ai pas souhaité éliminer. C’est aussi que l’immaturité radicale dans laquelle j’étais alors m’est revenue avec force, et transparaît aussi dans ma perception idéale et idéalisée des lieux et des personnes.
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