EDF n’a jamais été une entreprise comme les autres. Mais la séquence qui a abouti, vendredi 21 mars, à remplacer sans ménagement son PDG, Luc Rémont, pose la question de savoir ce qu’est réellement le géant public de l’électricité. Une société qui doit assurer sa pérennité grâce aux bénéfices qu’elle dégage, ou bien une régie avec mission de service public consistant à fournir l’énergie la moins chère possible afin de faciliter la réindustrialisation du pays et assurer sa souveraineté énergétique ? En remerciant le patron d’EDF, Emmanuel Macron a donné sa réponse : une sorte de « en même temps », qui peut être pratique en politique, mais problématique dans le monde des affaires.
L’éviction de Luc Rémont de la tête d’EDF intervient après un peu plus de deux ans de mandat, au cours duquel il a réussi à restaurer la capacité de production d’électricité de l’entreprise. Celle-ci avait été mise à mal par la multiplication de problèmes de corrosion, qui avait conduit à mettre à l’arrêt les deux tiers du parc de réacteurs nucléaires en pleine crise énergétique. Depuis, la production a progressé de 30 %, permettant à la France de redevenir exportatrice nette d’électricité.
Ce retour à meilleure fortune a permis de stabiliser la dette, de revenir aux bénéfices et de se concentrer désormais sur deux sujets structurants pour l’avenir de l’entreprise. Le premier consiste à savoir à quel tarif EDF peut vendre son électricité, le second concerne la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, annoncée en 2022 par le chef de l’Etat. Même si les deux dossiers ne s’inscrivent pas dans la même temporalité, ils sont intimement liés, car la capacité de l’entreprise à investir à long terme dépend de celle à dégager des bénéfices à court terme.
Toute la question est de savoir où placer le curseur entre les intérêts d’EDF, qui doit assumer un lourd programme d’investissement, et la défense de la compétitivité de l’industrie française grâce à une énergie abordable. Cette quadrature du cercle a provoqué des tensions qui sont allées crescendo ces derniers mois.
Il est difficile de reprocher au PDG de se poser en garant de l’intérêt social de la société qu’il dirige. Etre détenue à 100 % par l’Etat, depuis 2023, n’en fait pas pour autant une administration tenue de privilégier l’intérêt général au détriment de sa viabilité économique.
Il est tout aussi étrange que certains clients dits « électro-intensifs » accusent Luc Rémont d’avoir fait « un bras d’honneur à l’industrie française » en leur proposant un système de tarification plus cher que ce qu’ils payaient jusqu’à présent sous le régime dit « de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh). A quel titre ces entreprises, qui sont toujours promptes à défendre la libre concurrence et l’économie de marché pour leurs propres affaires, reprochent-elles à EDF de pratiquer des prix qui ne font que respecter le cadre de régulation et de concurrence européen ?
Demander à EDF de vendre son électricité à bas prix est d’autant moins audible que, dans le même temps, l’Etat presse le groupe de financer la relance du nucléaire français avec un type d’EPR dont le design n’est pas totalement arrêté, pour reconstruire une filière malmenée par les atermoiements du premier mandat de M. Macron. Le successeur de M. Rémont, Bernard Fontana, actuel directeur général de Framatome, devra sûrement faire preuve de davantage de diplomatie que lui, mais il ne pourra pas faire de miracle face à autant d’injonctions contradictoires.