Le pointillé a disparu de la carte du Maroc désormais publiée sur le site du ministère des affaires étrangères français. La fragile limite, qui laissait supposer que le Sahara occidental était, aux yeux de Paris, une entité distincte du reste du territoire, a été gommée mardi 29 octobre dans la soirée, quelques heures après qu’Emmanuel Macron a réitéré, devant le Parlement, à Rabat, au deuxième jour de sa visite d’Etat dans le royaume, la « reconnaissance » par la France de la « souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ».
Outre cette modification cartographique lourde de sens politique, Jean-Noël Barrot, le patron du Quai d’Orsay, a annoncé, mardi, lors d’une conférence de presse, aux côtés de son homologue marocain, Nasser Bourita, que Paris allait « accroître [son] action consulaire et culturelle » au Sahara occidental, en vue d’y « ouvrir une Alliance française ». Les choses s’accélèrent donc dans le repositionnement de la France sur le dossier sahraoui, qui, avait précisé M. Macron devant les députés marocains, « n’est hostile à personne », allusion à l’Algérie, soutien des indépendantistes du Front Polisario.
Un territoire voué à l’« autodétermination »
Et maintenant ? Si Paris hâte le pas, si son revirement va créer une nouvelle dynamique diplomatique – notamment au sein de l’Union européenne (UE) et au Conseil de sécurité des Nations unies – favorable à la cause marocaine, le contentieux autour du Sahara occidental ne va pas se régler comme par enchantement. Bien des hypothèques demeurent, qui vont prolonger le casse-tête. Aux yeux du droit international, l’ancienne colonie espagnole, que Madrid a quittée, en 1976, dans la confusion du crépuscule franquiste, reste un « territoire non autonome » voué à l’« autodétermination ». La cascade de reconnaissances diplomatiques de sa « marocanité », dont celle de la France est la plus récente – après les Etats-Unis en 2020 –, ne change rien à ce stade aux données fondamentales du litige.
Le premier des écueils qui se profilent tient dans l’aléa juridique d’investir au Sahara occidental. Les entreprises et opérateurs français « accompagneront le développement » du territoire, a confirmé M. Macron, mardi, à Rabat. Ces « investissements » et « initiatives durables et solidaires » seront menés au « bénéfice des populations locales », a-t-il précisé. Or, la jurisprudence européenne en train de se constituer sur le sujet va être une source de difficultés. Le 4 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a de fait rendu un arrêt confirmant l’annulation – déjà décidée en septembre 2021 par le tribunal de l’UE (première instance) – de deux accords commerciaux euro-marocains sur la pêche et l’agriculture, au motif que ceux-ci font l’impasse sur le « consentement du peuple du Sahara occidental ».
Si des « consultations » des « populations locales » ont bien été menées par les Européens sur les conséquences des deux dispositifs commerciaux, la CJUE estime que celles-ci ne suffisent à « établir » ledit « consentement ». Car le « peuple du Sahara occidental », défini comme l’entité à consulter, vit « en grande partie en exil » depuis les années 1970, en particulier en Algérie où il a « trouvé refuge », précise la Cour. Pis, les juges européens ajoutent que la « majeure partie » de la population résidant actuellement sur le territoire « n’appartient pas au peuple du Sahara occidental ». En clair, une consultation explicite de ce « peuple » ainsi défini est pratiquement impossible, sauf à quêter son avis dans les camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie, ou dans la diaspora à travers le monde.
Incertitude politique
Cet arrêt du 4 octobre a fait l’effet d’une bombe juridique au sein de la Commission et du Conseil européens, qui défendaient la légalité des deux accords commerciaux. « Nous avons été extrêmement surpris par ce jugement que nous trouvons très politique », confesse une source diplomatique européenne. La seule issue possible entrouverte par la CJUE tient dans la notion de « consentement implicite ». Ce dernier en effet peut être « présumé », dit l’arrêt du 4 octobre, si la preuve est administrée que l’activité économique examinée offre au « peuple du Sahara occidental » un « avantage précis, concret, substantiel et vérifiable ». En somme, un gros dossier technique de plaidoyer à établir sans garantie de résultats, en raison de la définition très extensive du « peuple » du Sahara occidental. « Cela risque de rendre des entreprises très frileuses pour investir dans le territoire », reconnaît la même source.
A plus long terme, l’incertitude est plus politique. Une fois son crédit réhabilité auprès du Maroc, la France veut accompagner le pays dans l’élaboration de la fameuse « solution juste, durable et négociée », dont le plan marocain d’autonomie de 2007 est désormais tenu pour la « seule base ». Car il va bien falloir donner du contenu à ce fameux plan qui, à ce stade, n’existe que sur le papier. Il faudra en particulier établir que la mise en œuvre concrète de celui-ci, notamment la participation de la population concernée, répond aux critères de l’« autodétermination » dont la perspective demeure inscrite dans les résolutions du Conseil de sécurité.
Or, la conception marocaine de cette autodétermination demeure éminemment problématique. Le plan de 2007 énonce expressément que la « libre consultation référendaire » envisagée n’a d’autre objet que l’« approbation » du statut d’autonomie sous souveraineté marocaine. En d’autres termes, il s’agirait d’un référendum de confirmation de sa présence, à l’exclusion de toute autre option. Dans son effort d’accompagnement du Maroc, la France va buter là sur une contradiction majeure. A moins de modifier les tables onusiennes de la loi, c’est-à-dire adopter de nouvelles résolutions au Conseil de sécurité redéfinissant de manière restrictive le concept d’autodétermination pour l’appauvrir en acte de simple ratification du statu quo.