Sur la question environnementale, les bonnes nouvelles sont si rares qu’on les accueille parfois en baissant un peu la garde, en laissant sommeiller doucement son esprit critique. Voilà dix-huit mois, avant que ne s’ouvre la COP27 de Charm-El-Cheikh (Egypte), la bonne nouvelle venait d’outre-Atlantique, avec l’annonce du plan climat américain, fondé sur le soutien financier aux énergies renouvelables – ce qu’avait commencé de faire Barack Obama au cours de son second mandat (2013-2017). Mais, cette fois, des moyens bien plus considérables étaient sur la table avec plus de 350 milliards de dollars promis sur dix ans.
A l’époque, l’optimisme était de mise. Bien que plus modeste, l’action de Barack Obama avait déjà bouleversé la production énergétique du Texas en seulement quelques années. L’Etat pétrolier par excellence s’est couvert de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes, devenant rapidement le premier exportateur d’électricité renouvelable aux Etats-Unis. Ce que M. Obama avait accompli allait pouvoir être encore étendu.
La nouvelle était donc jugée excellente. Et si elle fut accueillie comme telle, c’est qu’elle porte vaguement l’idée que toute cette énergie renouvelable se substituera, pièce pour pièce, à autant de gaz ou de pétrole qui resteront sous terre. Hélas ! Les chiffres sont implacables : entre le début du premier mandat de M. Obama et aujourd’hui, la production de brut au Texas a plus que doublé, passant de 2,6 millions à 5,6 millions de barils par jour. Quant aux renouvelables, elles s’y sont simplement ajoutées.
Vision « phasiste »
L’accumulation sans transition : c’est le sujet du nouveau et remarquable livre de l’historien des sciences, des techniques et de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz (Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, Seuil, 416 pages, 24 euros). Il y montre que les idées-réflexes qui traversent le débat public – selon lesquelles le développement des renouvelables est, à lui seul, l’indicateur d’une transition énergétique en cours – sont surtout le fruit d’un récit « phasiste » (découpé en « phases ») de l’histoire de l’énergie. Dans cette historiographie, les ressources énergétiques se succèdent en se substituant plus ou moins les unes aux autres : le bois finit par être remplacé par le charbon, le charbon par le pétrole et le gaz, et le pétrole et le gaz (bientôt !) par l’atome et les renouvelables.
Comme M. Fressoz le montre dans son livre, cette vision « phasiste » des rapports qu’entretiennent nos économies avec les ressources matérielles est trompeuse. Dès lors que ces ressources sont envisagées non plus seulement comme des sources d’énergie mais aussi comme des matières premières, le tableau se transforme. Il devient bien plus intéressant, mais aussi bien plus sombre : non seulement le bois continue d’être utilisé comme source d’énergie lorsque le charbon commence à être sorti de terre, mais il est aussi utilisé en quantités faramineuses pour étayer les milliers de kilomètres des galeries dont on sort la houille, ou pour construire les voies de chemin de fer, etc. Quant au pétrole, il n’est exploitable que grâce à l’acier, lui-même produit à partir de charbon et de fer, etc.
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